Pourquoi, comment créer sa propre religion ? N’en avons-nous pas déjà quelques-une de trop ? Rémi Sussan, journaliste pour Internect Actu et auteur du récent Frontière grise – Nouveaux savoirs, nouvelles croyances et stupidité sur le cerveau, s’interroger sur l’épineux problème de la Do-It-Yourself religion, la religion fait maison avec vos petites mains. Peut-on ? Pourquoi ? Comment ? TUTORIAL.
Pourtant, l’idée fait son chemin. Les raisons en sont multiples. De nombreuses recherches en science cognitive laissent à penser qu’une bonne partie des caractéristiques de la pensée religieuse seraient en fait des produits naturels du cerveau, développés au cours de millénaires de sélection naturelle.
Parmi ces fonctions, on mentionnera par exemple le comportement rituel, la croyance à des « agents contre-intuitifs », autrement dit des êtres surnaturels ou une propension du cerveau à éprouver des « expériences religieuses », même si on ne sait trop comment définir ces dernières. La religion présenterait des avantages adaptatifs. Elle diminuerait les stress et selon certaines statistiques (contestées) et elle serait un facteur de longévité.
Mais ce n’est probablement pas par simple calcul que certains se lancent dans la création de leur religion personnelle, mais plutôt à cause d’ un besoin intérieur. En fait, il serait même possible qu’il existe un élément génétique dans la mentalité religieuse ainsi que semble l’impliquer certaines recherches sur des vrais jumeaux séparés à la naissance. Cela aurait probablement à voir avec la façon dont notre cerveau gère la sérotonine, un neurotransmetteur fréquemment associé à l’expérience mystique (des drogues psychédéliques comme le LSD ou les champignons hallucinogènes agissent sur les récepteurs de la sérotonine).
Or, posséder une sensibilité religieuse n’implique forcément qu’on soit prêt à se conformer aux dogmes et au croyances
des religions traditionnelles. Si de tout temps il a existé des « mystiques à l’état sauvage », ceux-ci étaient en général réduits au silence ou restaient marginaux. Dans notre monde moderne, le « new age » si souvent (et pas toujours justement) décrié, est déjà l’amorce d’un mouvement vers une approche personnelle du sacré.
On peut envisager de parler de la religion sous (au moins) trois aspects. On peut s’intéresser aux croyances, aux mythologies, aux panthéons. On peut l’aborder sous l’angle social comme un système normatif, visant à unir un groupe par diverses pratiques, interdits et obligations. Enfin, on peut s’intéresser à ses aspects “mystiques”, aux états de conscience qui sont liés à sa pratique: extases des shamans, transport des saints chrétiens, méditation yogique…
Pendant très longtemps, ce sont les croyances elles-mêmes qui ont été au cœur des interrogations des spécialistes, pas les états de conscience. Au vingtième siècle, les sociologues et les anthropologues se sont grandement intéressés à ses aspects sociaux. Les états de conscience mystiques sont arrivés en bon dernier, et l’intérêt pour ceux-ci datent surtout de l’explosion new age des années 60 et des décennies qui ont suivi. Mais de l’avis général, l’état de conscience altéré, le côté mystique a toujours été le fait d’une minorité.
Lorsqu’on aborde le sujet des religions personnelles, l’ordre change. La plupart de ceux qui se livrent à ce genre d’exercice sont avant tout intéressés par l’expérience directe, mystique, plutôt que par la croyance en elle même et à plus forte raison les normes sociales. De fait, la pratique de religions personnelles est fortement liée à l’essor du mouvement hippie et à l’usage des drogues psychédéliques. Pour preuve, c’est Timothy Leary qui, dès 1967 avait écrit le premier manuel du genre : start your own religion. Leary était un malin. L’idée n’était pas seulement de libérer les pratiques d’expansion de la conscience des dogmes obsolètes, mais aussi de profiter d’une jurisprudence. Quelques années plus tôt, la Native American Church avait obtenu le droit de consommer du peyotl lors de ses cérémonies, au nom de la liberté religieuse. Leary espérait la multiplication de religions psychédéliques qui, correctement enregistrées auprès des autorités compétentes, auraient de fait rendu le LSD légal !
Mais pourtant, il ne faut pas imaginer que la pratique de la religion personnelle soit intrinsèquement et pour toujours liée au drogues. Le mouvement psychédélique a simplement laissé son empreinte en insistant sur le rôle primordial des états altérés de conscience.
Il existe de nombreuses techniques de transe, certaines très discrètes, d’autres spectaculaires ou dangereuses, qui émaillent l’histoire des religions depuis les origines. On peut se calmer en méditation, s’épuiser à danser, prendre des drogues dangereuses ou jeûner à l’extrême. Les “chaos magiciens” qui sont à la pointe en matière d’invention de “religions artificielles” divisent les techniques de transe en deux grandes catégories; les transes inhibitrices, qui consistent à provoquer un état d’isolation sensorielle, et les transes excitatrices qui reposent au contraire sur un bombardement sensoriel très violent.
On s’en doute, parmi les premières, on peut compter les pratiques de yoga et de méditation, et dans les secondes, les extases chamaniques ou vaudou basées sur la danse, le chant, voire la douleur comme dans certains cultes amérindiens, ou même dans certaines fêtes chrétiennes où les dévots se font littéralement crucifier.
Mais cette division n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le croire. Certaines transes sont provoquées par un mélange des deux ; que penser par exemple du chant de mantra, où tous les sens sont calmés, sauf celui de l’ouïe ?
On peut aussi qualifier les transes non plus par leur contexte, mais leur contenu. Certaines transes sont unitives, et consistent essentiellement en une fusion avec un principe supérieur. Et ce groupe peut se diviser en deux, les extases qui aboutissent à une rencontre avec un être personnel, une divinité, et celles, “sans forme”, qui ouvrent sur une réalité ultime abstraite. Les secondes, dans le bouddhisme mais également dans le christianisme hésychiaste, sont souvent considérées comme plus « avancées » que les premières.
D’autres états se distinguent avant tout par leur contenu, par le voyage et les révélations qu’elles apportent (ou donnent l’illusion d’apporter).
Ce sont les “transes prophétiques”, ou “shamaniques”. Dans le domaine des psychédéliques, on tend ainsi à séparer les effets des drogues comme le LSD, les champignons ou la mescaline, qui semblent fournir une justification neurologique aux théories orientales du bouddhisme ou du Vedanta, de la transe prophétique du DMT, qui donne à l’expérimentateur l’impression d’entrer en contact avec de véritables créatures situées dans d’autres dimensions.
Oeuvre d’Alex Grey, peintre psychédélique
Enfin il existe encore aujourd’hui des extases mal comprises ou peu étudiées. Par exemple la transe combinatoire de kabbalistes comme Abraham Abulafia (et sans doute d’un chrétien comme Raymond Lulle) qui est provoquée par une permutation sans fin des lettres de l’alphabet hébraïque (ou chez Lulle, par la combinaison de concepts situés sur des “roues”). Un état de conscience d’autant plus intéressant pour les expérimentateurs contemporains qu’il se rapproche peut être de la “transe programmatique”, de l’état de flow du développeur de logiciel immergé dans ses algorithmes. Une transe très moderne, donc, qui pourrait attirer plus d’un geek contemporain !
Lorsqu’on parle de transe ou d’états altérés de conscience, on peut laisser croire qu’il s’agit toujours d’effets “spectaculaires”. Alors que, au contraire, la plupart des expériences religieuses sont si discrètes qu’elles se remarquent à peine. Tout juste celui qui les éprouve constate-t-il qu’il “s’est passé quelque chose”, sans exactement pouvoir mettre le doigt dessus. C’est le cas lors de l’exécution de rituels. Ceux-ci provoquent sans doute une sensation de calme et de “signification” qui poussera le pratiquant à recommencer, voire à en faire le centre de sa vie. Dans Pourquoi Dieu ne disparaitra pas, Andrew Newberg et d’Aquili expliquent ainsi les possibles effets du rituel: la combinaison d’un élément rythmique, répétitif, et calmant, avec des comportements étranges, inhabituels, qui auraient pour effet d’éveiller l’amygdale, la partie du cerveau qui réagit aux possibles menaces. C’est la combinaison entre la sensation de calme et une légère impression de peur qui donnerait naissance à l’émerveillement religieux.
A noter que dès 1917, Rudolf Otto définissait déjà le sacré comme un mélange de terrifiant et d’attirant…
Que croire ?
Si l’on est dans la simple quête de l’état de conscience altérée, on ne trouve pas encore en train de créer une “religion artificielle”. Celle-ci implique l’existence d’une théologie, d’une métaphysique. Du reste, il est rare qu’une personne se livre sérieusement à des expériences sur les états de conscience sans en venir à développer une cartographie lui permettant de classifier (mais aussi de contrôler, voire provoquer) les contenus de ses explorations.
La création de panthéons de mythologie est donc le premier pas vers une véritable DIY religion. Mais il est très rare de rencontrer des panthéons entièrement originaux, sans lien aucun avec le passé. En général, il s’agit souvent de “matériel de récupération” issus soit de religions traditionnelles, soit de l’imaginaire contemporain, de la littérature fantastique ou contemporaine.
Sur ce point, il existe une forte relation entre l’idée de la DIY religion et l’occultisme contemporain, ainsi qu’avec les différents cultes “neopaïens” issus de la la wicca. En effet, les occultistes, surtout ceux qui se réclament de la chaos magic (mais pas seulement: bien avant la naissance de courant, le magicien Aleister Crowley procédait de la même manière), n’hésitent pas à adopter une divinité, une religion, un culte, en fonction des effets qu’il est censé provoquer. Il pourra invoquer Odin le lundi, pour acquérir du “pouvoir magique,” Venus le vendredi pour augmenter son sex appeal, et Monsieur Spock le mercredi pour accéder sa compréhension des librairies webgl en javascript.
Le chaos magicien est même encouragé à aller plus loin: à changer régulièrement de “paradigme métaphysique”. Peter Carroll propose ainsi de lancer un dé au début de chaque semaine et selon le résultat d’adopter pendant les jours qui suive une position théiste, athée, agnostique ou purement superstitieuse..
La “récupération” et interprétation d’éléments issus de cultes plus anciens n’est pas typique de la magie moderne. Elle semble intrinsèquement liée à l’attitude magique fondamentale, qui considère les dieux comme des “utilités” à manipuler plutôt que comme des entités à vénérer.
Les “papyri grecs magiques” du IIe siècle de notre ère, à l’origine probablement de toute la tradition magique occidentale, n’hésitent pas au sein d’une même incantation, à invoquer Jésus, Moise, l’ange Rafaël, les divinité égyptiennes Set ou le gnostique abraxas. En orient, une attitude subtilement athée se manifestent dans les textes tantriques ou taoïstes. Les dieux y sont réduits à l’état de symboles utiles.
Mais parfois les anciens dieux ne suffisent pas. Il devient nécessaire d’en invoquer de nouveaux, plus modernes. De fait, les liens entre les cultes néopaïens qui affirment ressusciter la vénération de dieux très anciens, et la science-fiction la plus modernistes sont nombreux.
Pour preuve l’une des plus anciennes églises “néo-païennes” des Etats-Unis, la “Church of All Words”, qui syncrétise le culte de la déesse propre à la wicca avec des éléments empruntés à l’œuvre de l’auteur de science fiction Robert Heinlein, En terre étrangère. L’expression “Church of all worlds” est d’ailleurs elle-même une référence à ce roman.
Très prisé par la branche la plus sombre l’occultisme contemporain, le culte des Grands Anciens de Lovecraft connaît un succès qui ne se dément pas. S’il existe encore quelques rares allumés qui croient réellement que Lovecraft était un grand initié ayant eu la connaissance de secrets interdits, la plupart de ces nouveaux dévots n’ignorent pas le caractère fictionnel des Grands Anciens et de leur livre sacré, le Nécronomicon. Simplement ils trouvent à ces figures un caractère moderne, qui leur semble plus en accord avec le monde révélé par les sciences, que les anciennes formes divines élaborées dans le passé. Pour Phil Hine la magie lovecraftienne est un « processus unissant les racines chtoniennes de la conscience primitive et les magies stellaires du futur ».
Évidemment, on pourrait s’interroger sur un culte rendu à des êtres dont l’unique but est d’envoyer toute l’humanité au néant. Mais les cultes lovecraftiens reposent ne sont pas dénués d’humour et n’hésitent pas à inverser le mythe. Après tout Lovecraft, qui décrivait ces créatures comme terrifiante et malfaisantes n’était-il pas lui-même misogyne, raciste, antisémite et admirateur d’Hitler ? Ne décrit-il pas les adorateurs des Cthulhu comme des “métis et des dégénérés”. ?Avec un tel narrateur, on ne peut finalement que trouver les grands anciens plutôt sympathiques…
Lovecraft, Heinlein sont des classiques. Certains n’hésitent pas à adopter des divinités encore plus proches de la culture populaire. Taylor Elwood a ainsi écrit un court manuel pour invoquer Buffy. Dans l’anthologie « pop magic grimoire », qu’il a dirigé, on y lit le récit d’un jeune homme qui a décidé d’invoquer une vampiresse qui avait été imaginée lors d’un jeu de rôle en ligne. Il a pour cela utilisé des éléments rituels empruntés au culte vaudou des loas.
Y a-t-il un lien entre les divinités choisies et l’état de conscience altéré favori ? Certes, les divinités lovecraftienne, de par leur mythe, se prêtent plutôt à la pratique du rêve lucide. Les loas vaudous sont invoqués par la danse, les divinités nordiques sont reliés aux états de « fureur guèrrière » (bersek). Mais on aurait tort de tracer des frontières définies. On a tendance à identifier le christianisme a une méfiance du corps, et pourtant cette religion a une riche tradition du « shaking », et de la danse, notamment dans les église de la diaspora africaine, mais pas seulement. Des rites sexuels ont été célébrés dans le contexte du judaïsme par les hérétiques disciples de Jakob Frank. Si l’immobilité yogique est traditionnellement associé à l’hindouisme la racine du mot indien pour « ascète » est « trembleur » ce qui laisse à penser que les premières manifestations du yoga présentaient des analogies avec les pratiques de la danse et du « shaking ».
L’humour n’a jamais été une caractéristique fondamentale de la pensée religieuse. Les cultes personnels d’aujourd’hui, qui ne peuvent que cultiver la distance et un certain scepticisme, en font une vertu fondamentale. De fait il est parfois difficile de distinguer une DIY religion d’une simple plaisanterie. Dans certains cas, par exemple le pastafarisme, ou les jedïstes qui sont si nombreux en grande bretagne, l’intention parodique est évidente. De même pour l’Eglise du « subgenius », mais ici, déjà, le second degré se charge d’une certaine réflexion philosophique. Dans le cas de l’Église discordienne, ce culte d’Eris lancé dans les années 60 par Kerry Thornley et Greg Hill, l’ambiguïté est encore plus forte. Selon ses sectateurs, il ne s’agit pas d’un « canular déguisé en religion mais d’une religion déguisée en canular ». En fait le discordianisme cherche à remettre en cause les catégories mentales habituelles et se rapproche pour ce faire des techniques « absurdes » du koan Zen.
La « chaos magick » qui se proclame « magie postmoderne » place bien sûr l’humour au centre de ses pratiques. Il y existe même une forme d’exorcisme nommé « bannissement par le rire ».
Croire avec qui ?
La DIY religion est-elle une activité purement personnelle ? Si vos contemporains savent pertinemment que votre culte a été spécialement conçu pour favoriser vos propres états mentaux, ils n’ont aucune raison de le rejoindre. Autant créer le leur. Pourtant on va le voir, il existe bien un aspect social à ces DIY religions, mais c’est dans le domaine que la transformation est la plus radicale.
Comme nous l’avons vu, l’humour est une composante souvent essentielle des nouvelles formes de religions. Tout aussi importante est la notion de ludique, le lien qu’on peut établir entre religion et jeux. De fait, les spéculations des magiciens chaotiques se retrouvent aujourd’hui chez certains théoriciens du jeu, et notamment Jane McGonigal, qui s’est intéressée à la notion de performance de la croyance telle qu’elle est pratiquée au sein des jeux à réalité alternée (ou ARG pour alternate reality game). Ces systèmes ludiques ont pour caractéristique de briser la frontière entre réalité et fiction (« ceci n’est pas un jeu » est d’ailleurs le slogan adopté par les adeptes des ARGs), en envahissant tous les médias disponibles (internet mail, fax etc.). La plupart des ARGs apparaissent un peu comme des “conspirations” que le jouer arrive à pénétrer en décryptant de codes, en recoupant des informations et souvent avec l’aide de vastes communautés en ligne.
Dans son texte, A Real Little Game, Jane McGonigal décrit ainsi « l’effet Pinocchio » : « le désir de transformer un jeu en la vie réelle, ou faire de sa vie quotidienne “un vrai petit jeu” ». Pour elle il faut distinguer chez les joueurs la « performance intentionnelle de la croyance et la croyance elle-même ». « Pour être claire, explique-t-elle, je crois que la croyance si largement suspectée des joueurs de jeux immersifs et pervasifs et leur “sensibilité psychologique” est en fait une performance stratégique de leur part. »
De fait on peut trouver aux ARGs une origine “occulte” ou “sacrée”, notamment à travers le mythe de Ong’s Hat. Dans les années 90 en effet ont circulé des documents anonymes, les Incunabula Papers, qui racontaient l’histoire d’une équipe de physiciens, réfugiés dans la ville fantôme de Ong’s Hat, qui avaient réussi à l’aide de techniques tantriques à contacter des univers parallèles. Mais cette histoire, ce mythe, loin d’être présentées de manière linéaire, comme dans un roman, se trouvait distribuée sur de multiples supports indépendants, parcourant les réseaux (qui à l’époque, consistaient essentiellement en petits serveurs téléphoniques, car l’internet était encore peu accessible au citoyen lambda) ou disponibles via fax ou photocopies… Surtout, à aucun moment lesdits document ne se revendiquaient explicitement comme des fictions. Le concepteur de jeux Denny Unger montre bien dans le passage qui suit l’aspect religieux, occulte, du mythe de Ong’s Hat :
Ong’s hat et les Incunabula ont toujours traité du problème des niveaux de compréhension. Lorsque vous étudiez chaque aspect de l’histoire, vous vous trouvez face à un défi. Vous découvrez une info passionnante qui vous entraine sur un chemin pour ensuite découvrir qu’il s’agissait d’une impasse, mais… il s’avère finalement que le chemin que vous pensiez être faux est en vérité le bon, et ainsi de suite.
Une portion de la population ne saisira tout simplement pas les incunabula et n’y verra qu’un “truc bizarre” mais certains seront capturés par eux, obsédés par leur mystère. Cette obsession dure généralement jusqu’à ce que la personne ait extrait de l’histoire quelque chose qui soit vital pour elle. Il existe aussi une autre sorte d’explorateur des incunabula. Celui-là va au-delà des obsessions personnelles et commence à appréhender une image plus globale en mettant en relation des informations apparemment sans liens entre elles. Ce que celui-ci perçoit aussi est une série de tests soigneusement construits pour filtrer certains types de personnalités et chercher des “candidats” adéquats. Un schéma général des Incunabula apparaît alors. Cela rappelle les initiations des sectes, mais est très différent parce que ce processus sélectionne un type particulier de personnalité : quelqu’un d’hédoniste, ouvert d’esprit, mais sceptique, doté d’une tournure d’esprit scientifique, créatif, libre penseur, éduqué, et critique. Certainement pas l’initié typique de la secte standard.
On a vu que certains occultistes contemporains n’hésitaient pas à invoquer des divinités issues de jeux de rôle. Les cultes lovecraftiens ont également une grande proximité avec la communauté ludique de l’appel de Cthulhu. On peut aussi mentionner les sous-cultures vampires, (ou plutôt “vampyre”) qui oscillent elles aussi entre une croyance sérieuse à base de sources occultes et le monde du jeu « Vampyre the Mascarade », inspiré par les romans d’Anne Rice.
Comme le note Tanya Luhrmann dans son livre Persuasions of the Witch’s Craft, consacré à la pratique de la Magie en grande Bretagne aujourd’hui :
Les magiciens considèrent les idées et les théories de la pratique magique à la fois comme des assertions sur le monde réel et des fantaisies « faisons comme ci » sur des pouvoirs étranges, des sorciers ou même des dragons (…) Tout se passe comme s’ils jouaient avec la croyance -et cependant, ils se prennent au sérieux, agissent en fonction des résultats de leur divinations, discutent des implications de leurs idées.
Les cultes de demain pourraient fort bien, ressembler à des jeux. On peut très bien imaginer les mondes virtuels comme le terrain d’activité des divinités de demain. Celles-ci seront avant tout des entités virales, s’autorépliquant sur le net, accroissant leur complexité par l’apport de multiples participants ou adorateurs (qui pourront créer rituels, mythes, temples et autels virtuels), prenant ainsi une signification de plus en plus riche ou plus profonde. Un processus darwinien sélectionnera les divinités les plus « utiles » c’est à dire celles dont le culte, pour une raison ou une autre, s’avérera le plus gratifiant pour ses « adorateurs » (lesquels, dans un état d’esprit polythéiste et syncrétique, ne se contenteront pas d’une seule divinité à vénérer, mais intégreront celles qu’ils préfèrent, avec parfois quelques modifications, à leur culte personnel).
A un certain point dans l’avenir, la distinction entre Divinités et Intelligences artificielles ou collectives pourrait devenir de plus en plus floue.