Et si c’était à la radio qu’on avait expérimenté internet ? Drôle de question qui vient à l’esprit quand on rencontre Didier de Plaige, l’un des fondateurs de Radio Ici et Maintenant, véritable légende des radios libres que je suis allé interviewer dans ses locaux de la rue Violet.
A l’époque, j’officiais pour un autre webzine, aujourd’hui défunt, Silicon Maniacs. Mais un dossier sur les Weirds Medias n’aurait aucun sens sans l’historique Radio Ici & Maintenant n’y figurait pas, entre ufologie, liberté d’expression et résistance dans les années 80. Rencontre.
Vous ne connaissez pas Radio Ici et maintenant ? Réfléchissez-bien : vous n’avez jamais entendu parler d’une radio parisienne libre, participative, où se côtoient les émissions de débat politique ouvert et les shows radios sur la spiritualité, les rêves et aussi… les OVNIS ? Radio Ici et Maintenant est une radio à l’image de Didier de Plaige, fondateurs historiques de RIM : libre et (très) décalé.
A mon arrivée, Didier de Plaige m’accueille, short et cheveux longs, et nous parlons un peu de micros, de câbles et de table de mixage mais aussi d’un projet qui lui tient particulièrement à cœur : la situation de la communauté des Shipibos en Amazonie péruvienne. « Parce que leurs villages sont disséminés sur 1.500 km au bord du fleuve Ucayali, et il leur est très difficile de communiquer ! Nous sommes en train de les équiper d’émetteurs en AM pour leur permettre de s’informer mutuellement et de s’organiser face aux mesures d’expropriation qui favorisent les exploitants forestiers et pétroliers». Et oui, c’est ça RIM, une radio dont l’unique but est de faire participer les citoyens, quitte à les former à la prise de parole en leurs donnant les moyens techniques de s’exprimer, comme pour les indiens Shipibos. Bien sûr, cela engendre un risque et RIM a été au coeur de polémiques et de problèmes judiciaires.
Rencontre avec une radio qui hacke les ondes depuis 30 ans.
L’Histoire d’une radio (très) libre
Sur aucune des radios existantes de Radio France, les auditeurs n’avaient voix au chapitre !
Bonjour Didier de Plaige, pourrais-tu nous présenter Radio Ici et Maintenant ?
C’est un radio qui a été fondée il y a plus de trente ans, trente-et-un an exactement, à la suite d’un constat : sur aucune des radios existantes de Radio France, les auditeurs n’avaient voix au chapitre ! Le projet consistait à faire le type de radio qu’on aimerait défendre et qui faisait défaut. C’est ça, Radio Ici et Maintenant. Ainsi, depuis 31 ans, chaque programme se compose de deux parties : l’exposé puis l’intervention des auditeurs. Nous disposons ainsi d’un baromètre social qui nous permet de savoir quel est l’impact de l’information distribuée par les grands médias. A l’origine, internet n’existait pas et l’on se demandait quel était l’impact réel de l’info : “L’opinion se mobilise-t-elle autant qu’on voudrait nous le faire croire ?” Parfois, nous constatons que des gros sujets n’intéressent pas du tout les gens alors que des micro-sujets les passionnent davantage. Puis internet est arrivé il y a une quinzaine d’année, l’information s’est diversifié et les citoyens ont pris la paroles sur les blogs ! Cela ne nous a pas empêché de continuer…
Reprenons depuis le début, la particularité de Radio Ici et Maintenant est d’avoir existé, de manière pirate, avant la fin du monopole d’État sur la radio. Qu’est-ce qui s’est passé avant les années 80 ?
La bande FM était déserte, il y avait France Inter, France Culture et France Musique qui s’arrêtaient à minuit. Le reste, c’était rien ! Il fallait libérer la parole, prendre quelques risques, cavaler sur les toits, placer des antennes. Après une première saisie, on a compris qu’on ne devait plus nous faire saisir le matériel d’enregistrement, les disques et le matériel sur le toit. C’était désastreux car trop coûteux ! Deux mois et demi après la mise en route, après la première saisie, on a adopté une autre technique qui consistait à laisser un émetteur en place dans un lieu et, par le moyen du téléphone, relier l’un des cinq studios au sol à l’un de ces émetteurs. Les endroits d’émission se sont multipliés et on les faisait tourner par l’envoi d’émetteur par taxis à tel endroit alors que c’était un autre animateur qui, de chez lui, assurait l’antenne ! Les animateurs au sol et leurs matériels ne risquaient aucune saisie car la triangulation n’indiquait que le lieu de l’émetteur…
Est-ce que tout s’est arrangé avec la fin du monopole d’Etat ?
Mitterand est arrivé le 10 mai 1981. Il a installé la Haute Autorité Audiovisuelle, ancêtre du CSA. Elle a mis deux ans à pondre un décret, en mai 1983, qui permettait à cette organisation de délivrer des autorisations. Pierre Mauroy avait fait une déclaration à l’Assemblée Nationale : «Non aux radios frics !» Un an plus tard, un défilé de supporters de NRJ regroupant 50 000 jeunes dans les rues, l’a fait céder.. donc le commerce s’est installé. Et c’était reparti pour des années difficiles : de 1983 à 1986, on a vu des radios se faire étouffer en sandwich entre deux émetteurs surpuissants. Nous avons failli passer à la trappe à ce moment-là sauf qu’un auditeur nous a fortement soutenu en nous donnant 30 ou 40 000 francs pour acheter un émetteur plus puissant… mais sinon, on disparaissait, comme une bougie entre deux phares.
Hacker les auditeurs
Le principe de Radio Ici et Maintenant a toujours été de faire participer les auditeurs ?
Toujours ! C’était notre base de départ, et nous ne voulions pas nous renier. Notre objectifs restait de prendre la température sociale et faire fonctionner notre baromètre. Pendant les 4 première années, on a eu recours à des expériences extrêmes comme radio Village, qui consistaient à mettre un répondeur au bout de la ligne. C’est-à-dire que l’auditeur téléphone, il obtient un message de bienvenue, top départ et hop, c’est partie pour 4 minutes de libre antenne.
Et vous n’aviez pas trop de débordements ?
A l’époque, non, c’est arrivé à l’époque des premiers dérapages de Lepen. Il a joué un rôle de libérateur de la parole venimeuse et certains auditeurs assez provocants ont cru qu’ils pouvaient lancer l’invective sur les medias et ont pollué notre système.
Avez-vous fait d’autres expérimentations ?
On a fait des transmissions de données. Vous savez ce bruit de fax ? A l’époque, il n’y avait que le minitel et les petits ordinateurs individuels Oric, Sanyo, Thompson, ces ordinateurs fonctionnaient à cassette. Les programmes numériques étaient enregistrés sur cassette. Une de nos grandes innovations a consisté a diffuser ce message sonore très ingrats pour l’auditeur lambda, qui se retrouvent avec du super-morse, pour pouvoir s’échanger des programmes… On uploadait du son qui était, en réalité, des données ! On a aussi fait de la quadriphonie, c’est de la double-stéréo, quatre sons originaux sortant de quatre enceintes. Un de nos animateurs, accordeur de piano de métier, nous a bricolé deux cassettes stéréo topées ensembles qu’on a fait jouer sur deux émetteurs. Au top départ d’horloge parlante, on a fait démarrer les deux cassettes en invitant les auditeurs à ramener le post radio de la cuisine ou dans la chambre des enfants et de se placer au milieu. Ainsi, ils se retrouvaient au centre d’un concert !
Vous êtes vraiment des bidouilleurs, vous sentez-vous proches des hackers ?
Mais totalement ! Vous connaissez l’oeuvre de Marcel Duchamp ? Les ready-made. Et bien on a toujours fait comme ça : dès qu’un nouvel objet sortait, on se demandait comment on allait le détourner. Un répondeur par exemple ! Nous l’avions transformé en régie. J’avais, avant de fonder la radio, échanger par téléphone des morceaux de musique avec un collègue. Il s’agissait de faire entendre la musique avec une assez bonne qualité en utilisant la bande passante de 3Ko du téléphone. Il y a un écrémage mais, exploité à fond, le son était assez correct. Mieux : on avait découvert qu’en dévissant la pastille écouteur de ces vieux téléphones de type éléphant, on obtenait deux fils. Et si on soude ces deux fils sur un jack 6.35, on peut écouter le son depuis la source, par exemple la sortie casque de son radio cassette. On a popularisé cette technique auprès des auditeurs, en les encourageant à s’armer de courage face à un poste qui ne leur appartenait pas mais qui était à France Télécom : devissez, soudez ou utilisez des pinces crocodiles, mais faites-le ! Du coup, nous avions une série d’auditeur disposant de ce qu’on avait appelé la «connexion téléphonique» et on pouvait leur passer l’antenne chez eux !
L’impact de la technologie
Création RIM
Les nouvelles technologies permettent-elles de partager davantage ?
Oui, tout à fait ! Mais attention, elles peuvent avoir un but malveillant. Notamment sur internet ou par le biais des téléphones portables, aubaines pour tous les services de police ! C’est un service de communication hors pair, mais aussi un bel outil de surveillance grâce à la géolocalisation.
Comment faire pour rendre une technologie bienveillante ?
Au départ, elles sont toutes bienveillantes… sauf les produits Thales, les produits Amesys, société filiale de Bull qui ont équipé la tyrannie de Khadafi. La puce de localisation des animaux n’a rien de bien méchants à priori. Mais les animaux ont servi de cobaye et les humains étaient… les prochains clients. Digital Angel équipe les malade d’Alzheimer qu’on peut pister pour les retrouver quand ils oublient où ils habitent. Les familles riches ont fait pucer leurs mômes pour éviter qu’ils soient enlevés à la sortie de l’école. Et pourquoi pas un mari qui glisse une puce dans le sac de sa femme ?
Pour qu’une technologie soit bonne, il faut la détourner… c’est pour ça que vous avez essayé de former les gens ?
Tout à fait ! On avait un spot de 60 secondes qui expliquait comme se réapproprier son téléphone, par exemple.
Comment voyez-vous le futur de la radio ?
Pour l’instant, une webradio, ça me semble être un travail de niche : difficile de faire une webradio populaire et grand public. Pourquoi ? Parce que les objets ne sont pas encore nomades. Comment pourrais-je capter la webradio dans ma voiture tant que la région ne sera pas couverte par un système de roaming ou autre ? C’est ça le futur : des webautoradio ! Aujourd’hui, lorsqu’on veut s’acheter une webradio à 60 euros sur le net, on découvre qu’elle permet de capter 18 000 radios dans le monde entier. Chacun peut faire sa playlist. Mais maintenant, je ne sais pas si chacune des 18 000 webradios émet à plein temps alors, à mon avis, on va vers des regroupements, afin que le programme soit plus fort. Des gens qui peuvent produire 4 heures d’émissions de qualité vont s’associer avec d’autres pour faire des radios collectives de qualité. Du côté des auditeurs, la multiplication des solutions d’écoute va faire de la radio un compagnon de plus en plus apprécié !
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