Sous la présidence normale, dans un pays normal, un petit village d’excentriques résiste encore et toujours à l’envahisseur (normal).
Avec son Guide de l’autre France, Christophe Bourseiller est parti en quête des lieux les plus étranges de France, en ville ou en village, au Nord et au Sud.
Fasciné depuis toujours par les marges de la sociétés, spécialiste des extrémismes en tout genre, collectionneur de tracts, ce journaliste et comédien est l’auteur de plus d’une quarantaine de livres où il partage ses passions les plus bizarres. Rencontre et conseils pour vos destinations cet été.
Vous êtes du genre… bizarre ?
J’ai longtemps essayé d’être normal, je n’ai pas réussi. Aujourd’hui, je ne sais plus trop répondre à la question même si mon curriculum a tendance a parler pour moi (rire). Par exemple, dès l’âge de dix ans, j’ai commencé à collectionner les tracts et, n’ayant jamais arrêté, j’ai aujourd’hui des archives sur toute la contre-culture, aussi bien la free press hippie, l’undergroung punk et la new wave sans oublier d’immenses dossiers de tracts et d’autocollants pour toutes les élections en France depuis 1965 ! Je suis fasciné par ce que Carlo Ginzburg appelle la “micro-histoire”. Selon lui, il y a autant d’intérêt à lire et à décrypter le ticket de blanchisserie de Marie-Antoinette qu’à écouter le discours qu’elle a fait avant d’être guillotiné.
Cultiver l’étrange, c’est une bonne chose ?
C’est fabuleux ! La vie serait tellement ennuyeuse si l’on vivait dans la normalité. C’est formidable qu’il y ait des gens bizarres et des marginaux ! On s’ennuierait à mourir sans l’extraordinaire pluralité du monde.
Y a-t-il un danger dans l’étrange, par exemple, dépasser la limite de la santé mentale ?
J’ai rencontré beaucoup de fous dans mon parcours – et des gens très dangereux. C’est effrayant, mais fascinant si vous souhaitez aller au bout des choses et que vous comprenez l’esthétique et la drôlerie qui se dégagent d’une recherche dans le domaine de l’étrange. En somme, plus j’étudie les cinglés, plus je m’en prémunis. Je ne me sens pas extrêmiste parce que j’étudie l’extrémisme. Par contre, je trouve qu’il y a des choses intéressantes dans ces mouvements-là, parfois… alors je glane. C’est pour ça que je les énerve autant : je suis comme un collectionneur de papillons !
Des exemples de gens frappés ?
Je me souviens d’un personnage vraiment inquiétant, rencontré il y a quelques années, un certain John Aes-Nihil, président du fan club de Charles Manson. Il animait une revue extraordinairement belle sur la mort, qui s’appelait Exit. Un nom fort bien choisi ! Evidemment, c’était intéressant, parce que le personnage était très angoissant mais quel talent quand il faisait sa revue ! J’en ai croisé quelques-uns comme ça, notamment un type complètement fou qui s’appelait James Mason, j’espère qu’il est en prison… Il prônait l’alliance entre Néo-nazi et serial killer, rien que ça !
Vous n’êtes jamais choqué au point d’avoir le stylo qui tombe des mains ?
Choqué, non, ravi, oui ! Par exemple, il y avait un courant que j’adorais, c’est un courant qui appelait au suicide général de toute l’humanité (rire)
Parlez-moi du Guide de l’Autre France.
C’est un livre issu de la volonté de partager et, en réalité, c’est un faux guide car les adresses que je donne, je dois l’avouer, ne sont guidées que par ma fantaisie et ma subjectivité. C’est mon goût qui prévaut dans ce guide et certains courants contre-culturels qui ne m’intéressent pas, n’y figurent donc pas. Je préfère prévenir !
S’il y a une autre France, cela signifie qu’il y a deux France. Quelles sont-elles ?
C’est l’idée qu’il y a une France officielle, que je déteste, qui ne m’intéresse pas du tout, la France des universités, des élites, de TF1, de France 2. et une autre France à côté où il se passe plein de choses, la France des individus qui osent faire des choses originales comme le Tryangle, par exemple ! De façon générale, ce pays m’épuise, les Etats-Unis et les pays de l’Est sont bien plus intéressants pour les amateurs d’étrange.
Comment choisissez-vous vos endroits étranges ?
Il faut qu’ils sortent des sentiers battus et que je puisse le relier à des tribus. Mais ça change extrêmement vite ! Imaginez que , quand j’ai fait le Guide de l’Autre Paris, en 1999, il y avait… Colette. Aujourd’hui, Colette ne diffère pas vraiment de grands magasins comme le Printemps. En 1999, j’avais mis les Sex-shops et les lieux gays… aujourd’hui, tout cela a sombré dans le normal. Les homosexuels français, par exemple ont demandé à être plus normaux que les gens normaux donc, forcément, ils sortent de mon guide !
Ma technique, c’est d’avoir au moins un point d’attache quand j’arrive dans une ville ou une région. Par exemple, j’arrive à Bordeaux, je vais à la librairie La Mauvaise Réputation, qui est la meilleure librairie contre-culturelle de France, un peu comme le Regard Moderne à Paris. En arrivant, je fouine, je demande aux tenanciers de la librairie et je trouve toujours de quoi faire… Dans le cas de Marseille, il suffit de marcher dans les rues. C’est l’anti-Paris. Il y a des lieux magiques, des lieux marqués qui possèdent une force tellurique. Ce sont généralement de célèbres villages comme Bugarach ou Rennes-Le-Chateaux et, sinon, vous avez des ambiances qui se font et se défont dans les villes.
Sur Paris, est-ce que vous pourriez nous donner un avant-goût des endroits que les Parisiens peuvent pratiquer pour trouver un petit vertige ?
Allez au Bar, rue de Condé, et buvez un verre dans le noir total. C’est ouvert à partir de 11h le soir et tout se fait à tâtons, éventuellement à la lumière du téléphone portable. A Paris, il y a aussi cette tendance des bars clandestins sur lesquels je ne peux, par définition, pas vous en dire plus. Faites un tour chez Music Fear Satan, un excellent disquaire de Black Metal. Vous pouvez jeter un oeil dans les lieux Rosicruciens et Franc-maçons, comme le Grand Orient de France, la Grande Loge ou encore le Droit humain… Des monuments sauvages de Paris, par exemple la statue de Charles Fourier ou encore le monument secret à la gloire de Jacques de Molay, le dernier maître des templiers.
C’est assez original pour un guide d’avoir autant de détails sur chaque région. Avez-vous des idées de destination pour cet été ?
Je recommande Bordeaux. C’est une ville étonnante, avec – je l’ai dit – la meilleure librairie contre-culturelle de France, la Mauvaise Réputation. Mais aussi le Garage Moderne, un mystérieux garage où l’on peut faire réparer sa voiture au milieu des performers qui dansent. Vous avez Utopia, une chaîne de cinéma d’art et d’essai militant qui diffuse ses films dans une église. Vous avez aussi dans une toute petite rue, un lieu anarchiste très vivant appelé l’Athénée Libertaire. Ensuite, quittez Bordeaux, et rendez-vous au bord du bassin d’Arcachon, direction Arès. Le premier intérêt, c’est que c’est le lieu historique des pèlerins d’Arès, une religion formidable (NB: selon certaines sources, cette religion est toujours en activité. Elle est parfois désignée comme une secte). Mais, encore mieux, Arès est le seul lieu du monde, qui, grâce à un maire très talentueux des années 70, dispose d’un site d’atterrissage pour vaisseaux extraterrestres, un parking pour OVNI avec une plaque pour accueillir les extraterrestre… en gascon ! (rire).
Et ailleurs en France ?
Le château d’Homonville, siège mondial des Rosicruciens, que je vous conseille de visiter avec un peu d’humour. A côté de Deauville, vous pouvez voir la croix glorieuse de Dozulé, un culte très important et très étrange qui a toute sa place dans mon guide. En Bretagne, vous avez l’oratoire de la Madone des Motards, chaque année… près de 30 000 bikers vont se prosterner devant la madone. Malheureusement, quand j’ai fait mon guide, le bar des Hell’s Angel avait fermé. On ne peut pas tout faire !
Qu’est-ce qui fait qu’il y a d’un coup un lieu étrange qui apparaît, et qu’est-ce qu’il fait qu’il disparait ?
Le premier point peut paraître terre-à-terre : le prix de l’immobilier ! Mais, en général, le lieu étrange est l’expression d’une communauté ou d’un courant qui veut s’exprimer et s’incarner dans un lieu. Ou alors, et c’est souvent le cas, il est l’oeuvre d’un personnage fantasque qui va vouloir créer quelque chose de vraiment insensé. Dans le deuxième cas, la santé du lieu va dépendre de celle de son propriétaire. Par exemple le Village d’Art Préludiens, en forêt de Fontainebleau, était un village bidonville complètement fou, fabriqué par un génie nommé Chomo qui vivait là au milieu des tôles. Lorsqu’il est mort, personne n’a songé à la conservation de cette oeuvre extraordinaire…
Pour revenir sur l’étrangeté, est-ce un art de vivre ?
L’étrange est un art de vivre, de sortir en permanence des sentiers battus et de faire de sa vie une oeuvre d’art en essayant de faire en sorte que rien ne soit jamais habituel ou usuel. Avec mon guide, j’ai vraiment voulu que n’importe puisse se dire : « Tiens, je ne connais pas ces fameux gothiques, je vais aller boire un verre dans une tête de mort! ».
Et si quelqu’un qui lit l’interview se sent… trop normal ?
Tant pis pour lui. Il suffit de le vouloir. Il y a tellement de moutons, moi, je n’y peux rien. Moi, je fais partie des gens qui aiment être sur l’autoroute sur la file en face quand il y a un bouchon de l’autre côté.
C’est élitiste ?
Oui. Je n’ai pas envie de convaincre grand monde, je pense que la culture et la contre-culture doivent être à un certain niveau et qu’il appartient à chacun de se hisser à ce niveau. Ce n’est pas à elles de s’abaisser pour aller chercher n’importe qui ! Il faut parvenir à comprendre l’intérêt pour ce grouillement dans les marges, porteur de nauséabond et de talents, de nouveautés, d’avant-gardes, et, qu’on le veuille ou non, qui annonce les temps futurs !