Le phénomène clownesque qui a terrorisé le monde semble vivre ses derniers instants. L’occasion de revenir en profondeur sur les dix théories les plus plausibles sur son origine, ou pourquoi cette peur s’est révélée être une véritable auberge espagnole.
Plusieurs mois après le début de l’épidémie de virus Ebola, les Nations unies viennent d’annoncer que le «Patient Zéro» avait été identifié. Un Guinéen de 2 ans nommé Emile Ouamouno aurait été la première victime à être infectée.
Sur la même période, une autre épidémie, certes bien moins grave, a rongé les esprits et les médias. Certains l’ont sobrement appelée «l’attaque des clowns tueurs», d’autres la «Clownapocalypse».
Mais connait-on le «patient zéro» de ce souriant virus à nez rouge?
Alors qu’on touche à la phase finale de l’hystérie médiatico-clownesque, Slate fait un point sur les dix théories les plus plausibles dénichées sur le web. A vous de choisir!
10.Une épidémie internationale : de Northampton (Angleterre) au Pas-de-Calais en passant par la Californie
La France est en état de siège. Depuis plusieurs semaines, la presse recense par le menu les apparitions de clowns en France, de l’adolescent déguisé de Périgueux, le 10 octobre, qui n’écopa que d’une simple remontrance, au clown aviné qui, à Montpellier, a donné 30 coups de barre de fer à un passant, écopant de douze mois de prison dont quatre ferme.
Mais la presse française évoque peu les origines internationales du phénomène: la France n’est ni le premier, ni le dernier pays à connaître cet emballement d’apparitions et de violences, car l’Espagne, elle aussi, a ses clowns –bien moins violents, il faut le dire. Le plus célèbre, pour le moment, est le Gijonclown, du nom de la ville du nord de l’Espagne. Contrairement à ses homologues français, qui ont défrayé la chronique en raison du port d’armes blanches diverses, ce clown «flippant mais sympa» se prend en photo et en publie les clichés effrayants sur son compte Instagram, qui compte pas moins de 14 000 followers. Sur une des photos, ce clown moraliste pose devant une devanture de McDonald’s en demandant: «Am I the Evil clown?» («C’est moi le méchant clown?»). Bonne question, mais remontons encore la piste.
Avant Périgueux et avant le Nord-Pas-de-Calais, l’épidémie clownesque sévissait ailleurs. C’est à Wasco, en Californie, qu’une autre affaire de clown amateur de selfies a fait parler d’elle. Tout a commencé par l’apparition de photographies de «clowns effrayants», fin septembre 2014, posant autour de lieux symboliques de la ville. Face à la panique qu’a suscitée le phénomène, le plaisantin s’est dénoncé et a donné une interview anonyme aux médias locaux: il ne s’agissait que d’un projet artistique qu’il réalisait avec sa femme (sic).
Seulement voilà, contrairement à ce qui prévaut dans le cinéma d’horreur, la copie fait plus peur que l’original: des copycats ou «imitateurs» ont repris alors le flambeau clownesque à Bakersfield, cette fois-ci munis d’armes blanches. La police a signalé pas moins de seize alertes de ce genre.
Wasco, patient zéro? Pas du tout. En juillet, un clown faisait parler de lui dans un cimetière à Greenwood, aux Etats-Unis, puis un autre à Staten Island en mars 2014. A chaque fois, même schéma d’embrasement des réseaux sociaux, de peur sur la ville, de photos d’apparitions sur Instagram… Décidément, on est bien loin d’un phénomène franco-français!
Ici, nous arrivons enfin à ce qui se rapproche le plus du patient zéro. Sa trace nous amène… au Royaume-Uni, où l’on répertorie des apparitions traumatisantes à Carrickfergus, Mansfield, Lincoln, Grimsby, Sheffield, Hull et Scunthorpe, selon le Northampton Herald, qui est bien placé pour en parler.
Le premier clown de cette grande vague serait bel et bien… le clown de Northampton. En septembre 2013, un an avant la vague française, un clown silencieux jongle déjà dans les rues sombres de cette petite ville du nord de l’Angleterre. Sa page Facebook «Spot Northampton clown», depuis lors supprimée, comptait pas moins de 200.000 likes. Selon le journal local, des journalistes de toute l’Europe seraient venus en ville, espérant démasquer le mystérieux et effrayant clown. Il le sera au bout d’un mois par le Daily Mirror. C’est un jeune réalisateur local du nom d’Axel Powell, 22 ans, qui venait de réaliser un court métrage, The Local Clown, et qui avait visiblement décidé de rentabiliser son déguisement.
Axel et ses deux complices racontent avoir reçu plus de 1.000 menaces de mort en un mois: la contrepartie de la gloire pour avoir l’honneur d’être le patient zéro de la clownapocalypse. Ce phénomène ne serait que la continuation de cette farce originale –amplifiée au fur et à mesure qu’elle a traversé le monde.
9. Une farce innocente sur YouTube, ou le virus «DM Pranks»
Presque tout le monde l’a vue. La farce de DM Pranks, une société de production italienne, est la source la plus mise en avant, avec 30 millions de vues par vidéo. En mai 2014, la première vidéo est mise en ligne et dépasse de très loin les antiques caméras cachées auxquelles nous étions habitués. L’internaute peut y voir un clown terroriser les passants, en mimant des meurtres sanglants dans un parking vide…
Les témoignages d’adolescents sont nombreux à faire référence à la vidéo YouTube. A Douvrin, le clown condamné à 6 mois de prison avec sursis a mentionné la vidéo, disant avoir voulu faire «comme sur Facebook». A Mâcon, deux ados de 14 et 15 ans ont «vu une boite à musique par terre, s’en sont approchés et racontent qu’un clown armé d’un sabre a surgi d’un buisson», cite Libération: une scène directement empruntée à l’épisode 2 des farces de DM Pranks.
Contactée, l’équipe de DM Pranks a accepté de répondre à quelques questions: voulaient-ils déclencher un tel phénomène? Ont-ils une adoration particulière pour les clowns? Croient-ils au paranormal? Leurs réponses, lapidaires, laissent peu de doute: «On fait juste des blagues pour divertir les gens, et j’aime bien les clowns effrayants.» Au sujet des débordements en France, ils se désolent pour ces «âmes égarées qui vont jusqu’à vraiment blesser des gens». En somme, l’une des personnes à l’origine du phénomène n’avait vraiment aucun plan, ni idée particulière sur la symbolique clownesque.
Quoiqu’il en soit, peu après la diffusion de la première farce, les débordements violents de Wasco auront lieu. Et ce n’est pas la récente mode des «Fire Challenges» qui démentira la facilité avec laquelle un comportement vu sur le web est rapidement imité.
8. Un coup de pub : Clown ou homme-sandwich?
Hoax, infos parodiques ou campagnes de pub, les internautes sont plus méfiants que jamais sur les phénomènes du web. Récemment, et malgré leur envie d’y croire, ils avaient su se montrer très suspicieux face à la femme à trois seins, qui faisait en réalité de la publicité pour sa série de télé-réalité avec un tierce sein en plastique. Tristesse.
Les clowns n’ont pas échappé à cette tendance. Ce fut notamment le cas du tout premier, le Northampton clown, qu’on accusa d’être une publicité pour le prochain film du créateur de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires et des Watchmen, le légendaire Alan Moore. Le monsieur aurait créé ce clown pour faire parler du Kickstarter de son film Heavy Heart, ayant pour thème des strip-teaseuses et des clowns. Interrogé, le laconique auteur de comics avoua que ce n’était pas de son fait, mais qu’il appréciait beaucoup l’événement: «Il n’y a rien d’étonnant à ce que des clowns se manifestent autour de moi», a-t-il ajouté.
Même chose pour Staten Island. Cette fois-ci, le clown aurait en réalité constitué la campagne promotionnelle d’un film de la société de production indépendante FuzzOnTheLens. Après avoir nié les faits, ils ont publié sur leur compte YouTube une vidéo hilarante où on les voit capturer le clown grâce à un piège ingénieux.
Stephen King lui-même, l’auteur de Ça, a réclamé des royalties sur Twitter, pour de rire. Si ce n’est pas un coup de pub réussi!
7. Une revendication communautaire : l‘ombre des «Juggalos»
L’été dernier, la communauté Juggalo, un rassemblement de fans du groupe Insane Clown Posse, a intenté un procès au FBI. En effet, ces individus au look de clown en noir et blanc, possédant leur propre langage et rituel, ont soutenu leurs chefs de file contre le gouvernement fédéral pour la raison suivante: le FBI avait classé les Juggalos dans la catégorie «gangs». Insane Clown Posse avait protesté, prenant l’appellation comme une insulte au mode de vie des membres, et une forme d’encouragement au harcèlement policier à leur encontre.
Malheureusement pour ces clowns d’un genre particulier, le procès a été perdu. Dans le Michigan, les habits clownesques restent, pour l’instant, le signe de ralliement du «gang des Juggalos» et une source potentielle d’ennuis avec les forces de l’ordre.
6. Un mouvement de jeunesse : les clowns: de jeunes chômeurs qui viennent du Nord…
Si l’on compare toutes les occurrences de paranoïa clownique que nous avons recensées, deux éléments reviennent presque systématiquement: les clowns viennent du nord du pays et, pire encore, ce sont des jeunes. En Europe, les clowns viennent de Gijon, au nord de l’Espagne, du Nord-Pas-de-Calais, de Northampton en Angleterre… Quant au jeune âge des clowns farceurs, la presse, notamment américaine, le relie souvent à la jeunesse européenne victime du chômage de masse –et d’avancer l’idée d’une vengeance sociale dans le cadre d’une crise des générations.
Coïncidence ou synchronie, des clowns apparaissent dans les mouvements contestataires. En France, dans le cadre des troubles autour du projet de barrage de Sivens, les Zadistes (en référence à la ZAD, la zone à défendre) portent parfois des nez de clown. C’est notamment le cas d’un certain Guillaume, interrogé sur Francetvinfo, qui dit venir du «Clownistan, un pays tout à l’ouest et peuplé de dix milliards d’habitants». Clairement, il n’est pas le seul clown à être à l’Ouest.
Figure du chaos, ce clown est plus proche du Joker interprété par Heath Ledger dans le Dark Knight de Christopher Nolan: l’anarchiste avec un bouquet de fleur, une bombe et un grand sourire. Sympa.
5. L’influence de la pop culture
C’est la faute à la télévision! Comme d’habitude avec ce genre de phénomène, des films et des séries ont été montrés du doigt. De nombreux articles ont fait le tour de la question, rappelant l’oeuvre de Stephen King, les biopics du monstrueux John Wayne Gacy ou encore l’horrible Captain Spaulding du chef d’oeuvre horrifique de Rob Zombie, La Maison des mille morts.
En l’occurrence, la presse a surtout montré du doigt l’étrange synchronie entre la diffusion de la saison 4 de la série American Horror Story, fin octobre, et la Clownapocalypse. Saison dont les épisodes contiennent –vous vous en doutez– une surreprésentation de personnages bariolés.
4. L’attrait du masque, ou le désir collectif d’incarner une figure commune
Les clowns seraient-ils avant tout un masque? L’anonymat du masque est un sujet en vogue. Parfois outil de révolte contre la vidéosurveillance, le masque est un élément indispensable de la tenue du super-héros. Objet paradoxal, il suscite le questionnement du héros quant à son identité et à la portée de ses actes dont il devrait, s’interroge-t-il, assumer la responsabilité à visage découvert. C’est ce que ne cesse de réclamer le Joker à son ennemi Batman dans The Dark Knight.
Pour autant, le masque a aussi le pouvoir d’amplifier l’identité en la rendant partageable. A la fin de la trilogie de Christopher Nolan, le masque de Batman est passé de Bruce Wayne à son successeur, qui pourra à son tour incarner la figure légendaire du Batman. Cette incarnation d’une figure commune permet d’en endosser la puissance paradoxale de terreur et d’étrangeté. C’est le cas du masque de clown.
Selon le psychologue Yann Leroux, ce n’est pas seulement à la coulrophobie, la peur des clowns, qu’il faut s’intéresser pour comprendre l’origine du phénomène, mais aussi à cette étrange coulrophilie soudaine:
«Il y a encore une génération, le clown triste était la face cachée du clown. Aujourd’hui, c’est un clown malveillant, extrêmement violent, voire maléfique, qui remplace l’image de la tristesse. Autrement dit, la dépression comme moment de retour sur soi, certes douloureux, mais permettant une réorganisation de ce qui a été éprouvé, est mis de côté. Cette difficulté collective à passer par des moments dépressifs se traduit par la tendance à la satisfaction immédiate et rageuse des désirs.»
Catharsis anonyme? L’ombre d’Anonymous pèse sur le phénomène Clown. Une foule incarnant d’une seule voix le héros unique derrière le célèbre masque à l’effigie de Guy Fawkes, un outil indispensable du révolté qui veut échapper à la surveillance.
3. Un mème Internet
… plus incontrôlable qu’un virus
Plus on a voulu alerter sur le phénomène, plus il a pris de l’ampleur. Et si les clowns tueurs étaient devenus un «mème», qui prenait sa force de toutes les tentatives pour le faire disparaître? Le terme «mème» a été introduit par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste, en 1976, et provient d’une association entre gène et mimesis (du grec «imitation»), selon Wikipédia. On peut le définir comme un élément culturel reconnaissable répliqué et transmis par l’imitation, un peu comme un gène. Et si l’on peut détruire un virus, on ne peut pas tuer une idée. Un mème tire sa force de tout ce qui va l’alimenter, même quand on essaie de le faire disparaître: quand la police nationale publie un avis anti-clown sur son Twitter, par exemple, ou quand les mairies prennent des arrêtés anti-clowns.
Un phénomène similaire a pu être observé avec la naissance du monstre le plus célèbre du web, le Slenderman. Créé par un certain Victor Surge pour un concours de Photoshop, il a tout de suite suscité l’enthousiasme du forum sur lequel il est apparu, où les internautes se sont amusé à imaginer son histoire et, surtout, ses méfaits, boogeyman oblige.
Mais le phénomène a pris de l’ampleur jusqu’à ce que des internautes confient un secret terrifiant: ils voient Slenderman dans leurs cauchemars. Le «mème-monstre» était sorti de l’écran. Un internaute clairvoyant avertit alors ses camarades: «Le Slender Man existe parce que vous avez pensé à lui. Maintenant, essayez de ne plus jamais penser à lui.»
Le Slenderman, caché derrière les enfants…
Le mème, un virus plus increvable qu’Ebola? Une affaire récente autour d’un mème qui se réjouissait du virus Ebola a eu tendance à le prouver, le mème étant devenu si monstrueusement vivant que ses créateurs s’en sont effrayés.
L’un d’eux va jusqu’à prétendre qu’ils avaient été manipulés par un Chaos magicien, un type de magie très en vogue dans les profondeurs redditeuses et 4chaniennes du web.
2. Les médias : les clowns, un cirque médiatique?
Dans un de ses fabuleux réquisitoires du Tribunal des flagrants délires, Pierre Desproges raconte son expérience de jeune journaliste: «Pour alimenter jour après jour ma rubrique des chiens écrasés, il m’arrivait d’écraser les chiens moi-même!» L’affaire des clowns peut être comparée à un respirateur branché directement sur les poumons d’un journalisme qui invente plus les actualités qu’il ne les commente.
Et ce n’est pas la société de production qui tournait un reportage sur les clowns dans l’intention de le vendre à M6 qui dira le contraire: l’un d’eux a été surpris par la police alors qu’il payait des mineurs pour se déguiser en clown pour effrayer les passants. Inutile de vous dire que tout le monde a fini au poste.
Il faut l’admettre: l’affaire des clowns est une «bonne affaire». Le sociologue Antonio Casilli décrit le grand jeu des universitaires et autres influenceurs, qui ont tout intérêt à réagir rapidement sur leur blog pour se positionner sur l’affaire et recevoir des appels de journalistes. Bref, qui dit clown dit cirque, n’est-ce pas?
1. Le complot du Nouvel Ordre Mondial : la faute aux Illuminati
Pour terminer cette liste, j’ajouterai bien sûr les théories complotistes. Le site Infowars, tenu par le maitre-es-complot Alex Jones, voit dans la vague de clowns –prenez une inspiration– une conspiration des élites du Nouvel Ordre Mondial consistant à tourner la jeunesse des pays européens réduite à la crise par la Banque mondiale contre ses aînés pour instaurer un climat de peur propice au vote de lois sécuritaires.
On aurait dû y penser avant…