Ca nous est tous arrivé au moins une fois : vous vous réveillez, vous prenez un jus d’orange et, soudain, vous vous dites : ”Tiens, je suis la réincarnation de Jésus”. Ne paniquez pas !
Généralement, c’est à ce moment là que vous rappelez que vous avez des médicament à prendre… mais on ne sait jamais : et si cette pensée restait bel et bien là, dans un coin de votre tête ? Se prendre pour Jésus est une affaire dangereuse, car il est scientifiquement établi que 100% des Jésus ont été crucifiés : être le Christ est un métier dangereux. Fatale ?
Ne vous inquiétez pas, le Tryangle va vous aider à traverser cette mauvaise passe au travers de l’étude de 3 cas d’école.
Le cas de Sylvain D.
Cet été, le Tryangle travaillait dans une boite. Du coup, il a pas mal fréquenté Facebook. Par le hasard des nombreuses pages ésotériques auxquelles votre serviteur est abonné – vous le connaissez – il est tombé sur la page officielle de Sylvain D., alias Oriana, Le Christ cosmique, Le Grand Monarque. Mon sang ne fit qu’un tour : j’avais déjà vu cet homme, et vous aussi !
C’était lors de la pseudo-rumeur de fin du monde en 2012, lorsque les journalistes s’étaient rués à Bugarach, ville censée échapper à la destruction miraculeusement. Mais alors qu’ils s’attendaient à un flot de hippies New-Age venus s’abriter auprès de la montagne magique de Bugarach, les journalistes se retrouvèrent avec les volets fermés d’un petit village qui n’avait rien demandé. Quelle ne furent pas leur joie quand ils aperçurent un homme qui semblait tout droit sorti d’un Ashram et qui leur déclara être la réincarnation de Merlin. BINGO !
Qui était-il ? D’où venait-il ? Peu importe, c’était exactement ce qu’ils étaient venus chercher à Bugarach. L’individu, qui dit s’appeler Oriana, sera ainsi vu dans les médias du monde entier, du Guardian au Petit Journal. Pourquoi ? Parce qu’il était, finalement, l’un des rares “originaux” à avoir su se faufiler entre les barrages de l’armée de Terre qui encerclaient le village et donnait un peu de crédit à l’hystérie médiatique. Voici la scène retransmise par les télés françaises, et que vous avez peut-être vu :
Le problème d’après l’enquête du Tryangle ? Après son passage télévisé improvisé, ce “Sylvain D.” fonde une nouvelle page facebook, lance un appel pour recruter des communicants, écrit son autobiographie “Océan Doré” et fonde le mouvement de la Paix Mondiale.
Infatiguable, il lance aussi des appels à projets, notamment l’édition de son livre de, précise-t-il “333 pages” et dont il cherche un éditeur d’envergure mondiale pour le diffuser dans toutes les langues, soit “entre 50000 et 500000 euros pour le lancer“, ce qui équivaudrait, selon lui, à “300 millions d’euros” de retombées pour les 100 millions d’exemplaires vendus. Il projette aussi de produire un film “genre genre Avatar / Rencontres du 3ème type / Le seigneur des Anneaux tiré de mon livre autobiographique, de type trilogie de 333 minutes)” pour lequel il cherche à recruter quelqu’un “genre Spielberg“, une comédie musicale, une invention (Elvita) pour remplacer l’internet actuel, et des cités de lumière écologiques.
Oui, depuis Bugarach, l’ambition de cet homme divorcé né en 1969, fils d’un cheminot et d’une institutrice, a explosé.
Le visuel qui accompagnait l’appel pour la marche universelle.
Sylvain D. met en oeuvre le dernier point de son plan durant l’été. C’est la marche universelle :
“Cérémonie de marche au mont des Oliviers (Israel) et à Damas (Syrie) pour entériner le pacte de paix universelle entre tous les règnes de vie sur Terre et dans le Cosmos et faire la transition en douceur avec le régime en place et ses principaux représentants (Sa Sainteté Le Pape Benoît XVI et tous les chefs gouvernementaux) pour réformer totalement au plan planétaire et inter-planétaire le système contrôlé par les Illuminatis et leur organisation, le Nouvel Ordre Mondial pour le désarmement total et le passage au pilon de toutes les armes de la Terre et du Cosmos et la mise en place du nouveau modèle sociétal basé sur l’Amour et la Vérité”.
Et on peut suivre toute cette marche sur facebook, jour après jour, à partir de son appel le 21 janvier puis lors de la constitution du gouvernement universel et de sa banque à base d’orange (oui, le fruit, mais je crois que c’est symbolique…). Sylvain D. a soulevé beaucoup de moqueries sur facebook, et les canulars dont il a été victime lui font parfois toujours imaginer des complots, qui s’inscrivent dans ses théories très inspirées de David Icke, le plus célèbre conspirationiste à l’heure actuelle, pionnier de la conspiration “reptilienne” et du Nouvel Ordre Mondial.
Doit-on accuser les journalistes d’avoir donné de l’eau à ce moulin ? Pendant tout l’été, j’ai suivi les entreprises de Sylvain D. qui sont proprement innombrables. On relèvera notamment une lettre à François Hollande, une lettre au président de la Grèce, ainsi que la missive suivante, adressée directement au Pape, pour lui demander de reconnaître sa véritable identité de Christ Cosmique :
Sur Facebook, Sylvain D. doit composer avec des milliers de pharisiens qui ne se rendent sur sa page que pour l’insulter, version numérique et light du calvaire, face à laquelle il garde son calme:
Bien sûr, peu importe que Sylvain dise ou non la vérité, qu’il soit ou ne soit pas, le Tryangle ne traite pas cette question, mais plutôt la réception de la déclaration christique, et son impact sur la santé du sujet. Force est de constater que Sylvain a dépassé les 33 ans… Il a aujourd’hui 44 ans. Win incontestable en termes de longévité. mais quel est son secret ?
Vaut-il mieux se prendre pour Jésus ou Napoléon ?
Un autre cas célèbre de “Jesus Syndrome” : Alain John Miller (source)
Les athées assimilent parfois la religion à un dérangement mental collectif. La vraie question est plutôt, dans le cas de véritables troubles mentaux ( i.e. une personne se prenant pour une autre, souffrant exagérement dans sa vie, subissant un dédoublement de personnalité…), la religion contribue-t-elle à aider ou, au contraire, nourrit-elle la douleur du sujet ? Même pour une spécialiste de la question, le Dr. Sylvia Mohr, cela n’est pas évident, comme elle l’explique dans “Les rôles de la religion et de la spiritualité pour faire face à la schizophrénie et se rétablir” .
Cependant, a-t-elle découvert, vous avez plus de chance de vous en sortir si vous vous prenez pour Napoléon que si vous pensez être la réincarnation de Jésus. Elle a examiné plus de 200 patients des deux centres psychiatriques de Genève et des Trois-Rivières, au Québec. La moitié de ceux-ci expérimentaient des troubles psychotiques. Sur cette moitié, 38 présentaient un contenu de nature religieuse. Pour certains d’entre eux, la foi dans la protection de Dieu et la protection d’anges gardiens, notamment dans des cas de persécutions démoniaques, étaient un réconfort. Cependant, pour la majorité des patients (55%), c’était tout le contraire ! Et il est difficile de soigner de tels troubles : comment convaincre quelqu’un que ce en quoi il croit est – pour une partie – faux, et pour un autre partie, vraie ? Qu’une partie de ce en quoi il croit, sans preuves, est une bonne croyance, et une autre, une croyance délétère qui le fait souffrir et ne peut mener qu’à sa marginalisation ou pire… ?
Pour Alan John-Miller, qui se présente comme le Jésus Australien, tout va bien. Après avoir révélé sa véritable identité (Jésus) et celle de sa femme (Marie-Madeleine), il a créé le mouvement de la Vérité Divine. Le succès de Divine Truth a été tel que beaucoup d’experts s’inquiètent. En même temps, il faut les comprendre, un Jésus à la tête d’une secte, c’est un business plan qui a fait ses preuves :
“Il se prénomme «Jésus australien» sur son profil Twitter. Alan John Miller, surnommé «AJ» pour les intimes, ne se contente pas d’affirmer être la réincarnation du Christ, car sa compagne, Mary Suzanne Luck, serait Marie Madeleine. «Comment je sais qui je suis? Parce que je me souviens de tout sur ma vie», a-t-il expliqué à la chaîne de télévision Sky News. Ancien ingénieur en informatique, Alan John Miller dirige désormais l’Église de la «Vérité divine» chez lui, près de la petite ville de Kingaroy dans l’État du Queensland, dans l’est du pays. (source)”
Bien sûr, ses déclarations ont soulevé beaucoup de moqueries mais, pour celui qui dit se souvenir de la crucifixion comme si c’était hier, cela n’a pas d’importance :«J’ai toujours connu ce traitement, au premier siècle, et dans ma vie actuelle».
Alors imaginons que vous réussissez à admettre votre nature christique. What’s next ?
Le Jerusalem Syndrome ?
Que risquez vous si réussissez à convaincre que, oui, vous êtes bien le fils de Dieu ? Dans Les frères Karamazov, Dostoïevski imagine le retour du Christ dans le chapitre célèbre du Grand Inquisiteur :
« C’est Toi, Toi ? » Ne recevant pas de réponse, il ajoute rapidement : « Ne dis rien, tais-toi. D’ailleurs, que pourrais-tu dire ? Je ne le sais que trop. Tu n’as pas le droit d’ajouter un mot à ce que tu as dit jadis. Pourquoi es-tu venu nous déranger ? Car tu nous déranges, tu le sais bien. […] demain je te condamnerai et tu seras brûlé comme le pire des hérétiques, et ce même peuple qui aujourd’hui te baisait les pieds, se précipitera demain, sur un signe de moi, pour alimenter ton bûcher.
Le récit d’Ivan à Aliocha présente un retour du Christ qui est immédiatement condamné et qui reste irrémédiablement silencieux. Le messie est tué en place publique car son retour bouleverse les institutions créées pour attendre… son retour.
Aujourd’hui, ce qu’il risquerait, c’est l’internement : plusieurs types de maladies mentales décrivent les déclarations prophétiques. Les hallucinations bibliques semblent, après quelques recherches, avoir été pleinement médicalisées. On prendra l’exemple du Syndrome de Jérusalem, qui a touché, pour l’exemple, 1 200 personnes entre 1980 et 1993. Il s’agit d’un trouble psychologique équivalent au syndrome de Stendhal, “à ceci près qu’il ne se rapporte pas aux œuvres d’art, mais au sens religieux révélé lors du pèlerinage dans la ville sainte des trois monothéismes, Jérusalem” (source)
À l’approche de l’an 2000, la fréquence de ce syndrome avait suscité une inquiétude particulière de la police et des milieux médicaux face à une recrudescence d’illuminés et de pathologies hallucinatoires, qui s’est toutefois révélée quelque peu exagérée : le nombre de cas déclarés ne fut pas bien supérieur à celui enregistré dans les années « normales ». Les principaux symptômes ressentis sont les suivants : anxiété et stress, désir d’isolement, obsession de se purifier le corps (ablutions systématiques, taille des ongles), confection de toges à partir de draps, déclamation de passages de la Bible et chants sacrés, proclamation de sermons, hallucinations, etc.
La solution ? S’éloigner rapidement de Jérusalem car, dans la plupart des cas, les syndromes s’estompent en quelques jours après le retour en terrain connu. On peut imaginer qu’il y a là une forme de thérapie par l’expérience mystique (on peut trouver plus simple pour vivre pleinement sa vie, le Tryangle vous le promet).C’est à se demander si la meilleure solution pour une victime du syndrome de Jésus n’est pas… de plaider la folie ?
Moralité : pour survivre si vous vous prenez pour Jésus, ne restez pas silencieux lors de votre procès. Plaidez la folie, et on vous laissera tranquille. Vous pouvez aussi prétendre que vous êtes aussi la réincarnation de François Mitterrand et de Claude François, ça peut fonctionner.
Illustration de couverture par Charle-André Vergemassive II