Rencontre avec Dominique Filhol, co-réalisateur d’un documentaire sur Bugarach, réalisé à la veille du 21 décembre 2012.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, les habitants de Bugarach se plaignent de la présence de 250 journalistes dans leur village de 200 habitants. Depuis que les articles du New York Times et du Figaro sont sortis, colportant un certain nombre de rumeurs, le marronnier apocalyptique du 21 décembre a trouvé sa capitale internationale : Bugarach serait censé survivre à l’apocalypse et attirerait tous les illuminés de France et du monde.
C’est pour aller à rebours de l’hystérie médiatique ( analysée par Vincent Glad sur Slate ) que William Duchesne, Antoine Espagne et Dominique Filhol ont décidé d’aller à la rencontre des gens de Bugarach et de réaliser un documentaire pour la chaîne Planète No Limit avec leur maison de production Mercure Films. Pour eux, il y a deux Bugarach, celui des journalistes, et celui de ceux qui l’ont vécu depuis des années. Les légendes autour de Bugarach sont nombreuses et bien plus anciennes que la fièvre de 2012. Car si le pic de Bugarach fascine depuis si longtemps, c’est aussi grâce aux villages voisins : Rennes-les-bains et le mythique Rennes-le-Chateau.
Rencontre avec Dominique Filhol, l’un de ses réalisateurs qui nous parle de son expérience et de son documentaire.
Un regard différent sur Bugarach
Comment a commencé le projet ?
Dominique Filhol : Au départ, un ami avait un projet de fiction sur Bugarach, mais quand j’ai commencé à creuser la question, je me suis rendu comte qu’il était absolument nécessaire de faire un documentaire ! Parce que tous les reportages qui avaient été faits jusque là en faisait un refuge d’illuminés et de survivalistes. Pour eux, Bugarach était juste “le village de la fin du monde”. Pire, tout était toujours traité de la même manière : une rumeur prétend que des illuminés vont venir en masse à Bugarach le 21 décembre pour survivre à l’apocalypse. Seulement voilà, tous ces articles ne se basaient sur rien… Comme si aucun journaliste n’avait fait la moindre enquête !
Qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille ?
Quand tu vas un peu sur internet, tu te rends vite compte que cela fait des années que des gens écrivent sur Bugarach, que certains, par exemple, y ont vu des OVNIS et que les légendes abondent dans la région. Surtout, il y a un an et demi, quand on a initié le projet !
Quelle a été votre méthode d’enquête ? On remarque, par exemple, l’absence complète de voix off dans le documentaire. Vous avez fait le choix de laisser s’exprimer presque uniquement les habitants de Bugarach. En fait, seuls deux intervenants du documentaire ne vivent pas vraiment à Bugarach…
Nous n’avons pas voulu juger les gens qu’on allait rencontrer. A l’opposé du traitement journalistique qui a prévalu pour Bugarach, nous n’avons pas cherché à montrer les gens comme des illuminés ou faisant partie d’une secte. Non, nous sommes allés à la rencontre des habitants et avons trouvé des personnes en quête de mystère ou de spiritualité. Voilà tout. Des sectes ? Nous n’en avons pas vu. Thomas Gottin, dans son livre Le phénomène Bugarach, parle très bien de ce qui anime les gens qui s’intéressent au petit village de Bugarach. Notre objectif était de laisser parler un maximum de gens pour donner une idée de la diversité des esprits vivants à Bugarach.
Ce qui m’a frappé, c’est cette manière de laisser parler des gens d’opinions diverses. Mais aucune voix-off n’intervient pour juger des faits. Ainsi, lorsque vous évoquez l’affaire du mythique Daniel Bettex, il y a la parole du maire, la parole du gendarme et la parole d’habitant de Bugarach comme André Douzet. Est-ce que vous pensez que vous êtes allez assez loin dans l’investigation ?
Non, nous ne sommes pas allés assez loin mais, de toute façon, nous n’étions pas là pour faire un film sur l’affaire Bettex. André Douzet nous a présenté des documents prouvant l’existence de Bettex, parce que j’ai entendu dire par d’autres gens qu’il n’avait jamais existé. Le maire a attesté aussi de l’existence de Bettex. La sociologue aussi le confirme. Maintenant, apparemment, il n’est pas mort dans des circonstances mystérieuses à Bugarach mais c’est vraiment quelqu’un qui est venu creuser et chercher quelque chose à Bugarach sous le pic, ça c’est certain. Nous n’en saurons probablement jamais plus…
Pourquoi rester ainsi à la surface des choses ?
Ce que nous voulions montrer dans ce documentaire, c’était l’abondance des sujets bizarres et mystérieux. Et là, nous devions tenir 52 minutes. On aurait pu faire plus avec les histoires de Pierre Plantard, les théories de Christian Doumergue, sur l’Atlantide Ou aussi la théorie autour du tableau de Nicolas Poussin par Henry Lincoln (auteur de l’Enigme Sacrée, sur lequel ont été pompées toutes les théories du Da Vinci Code) etc etc… D’ailleurs, on a des interviews là-dessus. Ca aurait encore ajouté des énigmes car elles ne manquent pas dans cette région !
Comment ce projet a-t-il été reçu par les chaînes car, il y a tout de même eu une alerte du MIVILUDES, l’organe anti-secte de l’Etat ?
Nous, vraiment, nous n’avons pas vu de secte. Il paraît qu’à un moment il y avait Ramtha dans la région. D’ailleurs, j’ai jeté un oeil au documentaire sur TF1 qui proposait un petit passage sur Bugarach et ils se sont mis à parler de Ramtha, une secte Apocalyptique qui attend un grand changement pour 2012. Nous on ne les as pas vu… Nous avons vu des groupes, mais à partir de quand peut-on dire qu’il y a secte ? Est-ce que ça peut s’appliquer à un stage de développement personnel, un coach en développement personnel est-il un gourou ?
Quand alors ?
Je pense pour ma part que la secte, c’est quand on est vraiment sous l’emprise de quelqu’un et que cela devient dangereux pour toi et ta famille, que tu deviens isolé des autres. Si c’est allé s’enfermer une semaine dans une grotte avec un type et que tu as besoin de cet accompagnement pour réaliser quelque chose d’initiatique, dont tu as besoin. Les frontières entre religion, spiritualité et sectes sont finalement assez fines. Comme on le dit plusieurs fois dans le film, c’est un peu un message anti-secte, c’est que tout est à l’intérieur de nous. On a pas besoin de guide ou de gourou !
Aller à Bugarach
Quels sont les grands courants qui sont présents à Bugarach ? Les grandes figures de l’investigation ?
A Bugarach, il y vraiment de tout. Tu peux aussi bien t’intéresser à l’histoire des Cathares, que de parler d’ufologie et d’anciennes civilisations, d’archéologie sacrée, ou de société secrètes. On va parler de tout ce qui a un rapport avec une autre façon de voir le monde. C’est une vision assez proche de celle du Matin des magiciens. En fait, le Bugarach, c’est le Matin des magiciens, mais en vrai.
Pourquoi est-ce que c’est à Bugarach qu’on trouve cette concentration de thèses hétéroclites ?
J’espérais pouvoir le comprendre, mais…. je ne l’explique toujours pas. C’est un endroit chargé d’histoire et extrêmement beau, voilà tout. Une beauté païenne. Il suffit d’aller marcher un peu seul dans la forêt… pas besoin d’être allumé, vous ressentirez sûrement quelque chose.
Au bistrot de Bugarach, est-ce qu’on peut trouver, par exemple, un mec qui cherche la tombe de Marie-Madeleine en train de s’engueuler avec un ufologue ?
Ca existe déjà, et c’est plutôt au mythique village de Rennes-le-Chateau. Ce sont deux villages très proches, ce qui fait que les habitants des deux villages se connaissent et se rendent visite. A rennes-les-bain aussi, on trouve ça. Les 3 petites villes côte à côte et qui ont toute à peu près 200 habitants. Il y a vraiment un côté familiale qui vous permet de faire de drôle de rencontres, avec beaucoup de gens qui ont des théories très (très) différentes et qui peuvent tout de même s’entendre !
Il y a une bonne ambiance à Bugarach ?
Oui (rire). Enfin, les gens qui sont là depuis longtemps, ils n’apprécient pas du tout cette histoire de fin du monde. A l’heure où je vous parle, il y a 250 journalistes pour un village de 200, et les gens sont très très sollicités par tous les journalistes.
Ca doit ressembler à la fin du monde pour eux. En fait les Maya ont prévu l’arrivée des journalistes. Est-ce qu’il y a un bistrot à Bugarach ?
Il y a un bistrot, un restaurant, et vous n’y trouverez rien de particulier. Au bistrot de Bugarach où l’on a diné un soir, pas de discussions étranges. Par contre, tu vas dans un autre lieu qui est face au Bugarach, qui s’appelle le relais de Bugarach, là on vend des produits bio, des T-Shirt Bugarach et tu peux faire du beamer avec un tapis qui envoie des ondes positives dans ton corps. Et oui…
Bugarach tabou
Comment ça a été interprété l’interdiction de se rendre à Bugarach ? Il y a un véritable dispositif de sécurité.
Les gens de là-bas, je pense qu’ils subissent. Du coup, ils sont bloqués pour ces 3 ou 4 quatres jours. Pour l’instant, seul l’accès à la montagne est vraiment interdit. En ce moment, il y a 400 gendarmes à peu près qui ont installé des check point pour contrôler les aller-et-venues dans la région. Bon, c’est seulement 400… Donc si des centaines de milliers de gens comptent venir, ils risquent d’être débordé.
Vous n’y croyez pas ?
Tout est possible. Mais, à l’heure actuelle, le seul qui est arrivé (je suis les facebook des gens de Bugarach), il y a une seule personne qui est arrivé et a planté sa tente. Et on est le combien ?
Le 12/12/12 !
( rire) Comme par hasard. Par contre, lui, il n’attends pas la fin du monde ou des extraterrestres, mais des anges.
Qu’est-ce que tu penses de cette présence policière ?
J’ai parlé à un ami qui vit à Los Angeles. Il me dit qu’aux USA, avec un évènement de ce genre là, les autorités auraient fait quelque chose pour accueillir les gens. On ne leur aurait pas dit de ne pas venir. Ils auraient réé un business autour et un festival serait organisé autour, à la Woodstock. Et nous, qu’est-ce qu’on fait ? Le signal qui est envoyé c’est «ne vous regroupez pas, ne vous réjouissez pas». Je trouve que ce n’est pas un signal d’ouverture et d’amour.
Penses-tu qu’il y a une certaine haine de la spiritualité en France ?
Une haine, je l’ignore, mais une peur, oui. La chasse aux sorcière continue. Mais attention, il y a beaucoup de charlatans qui profitent de la faiblesse des autres mais il ne faut pas tout mélanger. Aujourd’hui, dès qu’on parle de gens qui se regroupent pour méditer et bien, pour certain, ça va être une secte. Alors que non, ils se réunissent et ils méditent. Chez les lamas Tibétains, on va trouver ça normal. Ici, ce serait une secte.
Est-ce que Mercure Films est voué à traiter ce genre de sujet ?
Oui, ce sont des sujets qui nous intéressent. Maintenant, on ne s’y cantonnera pas. La référence à l’alchimie dans le titre (mercure), fait aussi référence à l’alchimie nécessaire pour faire un bon film, et en faire un succès. On emploi le terme que l’on veut, mais pourquoi pas «magie» ?
Un prochain projet ?
Un documentaire sur l’alchimie.