La paralysie du sommeil est un phénomène étrange qui pourrait être à l’origine de nombreux contes et légendes… Et de la naissance des monstres les plus terrifiants.
Depuis mon plus jeune âge, je suis victime de paralysie du sommeil. D’abord inconscient des implications et des raisons pour lesquelles j’en subissais, j’ai commencé à avoir des hallucinations terrifiantes lors de l’endormissement et, parfois, le matin : une entité démoniaque se faufilait dans ma chambre et me persécutait, au point que je sente, sans pouvoir bouger, ses pattes sur mes chevilles, mes paumes ou autour de mon cou.
Me croyant d’abord cinglé, j’ai regardé sur internet et constaté que nous étions très nombreux à vivre des expériences similaires, ce qui ouvrait la porte à deux théories : soit il s’agissait d’un véritable phénomène psychologique scientifiquement étudié, soit nous étions vraiment beaucoup à être cinglés et il fallait absolument qu’on créé un club. Du coup, j’ai mené l’enquête.
La paralysie du sommeil : un mystère millénaire
La paralysie du sommeil existe bel et bien. Elle est mentionnée dans les traités médicaux depuis l’Antiquité et, selon les études contemporaines de Michel Billiard et Yves Dauvilliers, 0,3 à 6,2% de personnes l’expérimenteront de façon sévère et régulière. Cela vous est peut-être même déjà arrivé. C’est un phénomène connu et documenté, trouble du sommeil pour certains, malédiction ouvrant la porte aux esprits et aux démons pour d’autres, la paralysie du sommeil est aussi considérée par certains dormeurs comme un moyen de mieux contrôler leur rêve.
Quoi qu’il en soit, le phénomène suscite un intérêt de plus en plus prononcé sur internet :
Son étrangeté et les visions qui lui sont fréquemment associées ont été, au cours des âges et des cultures, sources de nombreuses superstitions et thèmes mythologiques ou fantastiques, et ont inspiré des peintres, des sculpteurs et des écrivains – sans même parler des grands explorateurs du monde des rêves, les onironautes. Sur Google Trends, le moteur d’analyse des tendances de recherche de Google, la « sleep paralysis » est associée aux mots suivants : rêves, causalité, rêves lucides et… démon (30%)
Autour de ce phénomène extraordinaire et rare, un vrai mystère que ni la science, ni la religion, n’a su complètement élucider. Pourtant, les entités que l’on y rencontre, elles, semblent bien réelles.
Des attaques nocturnes similaires à travers l’Histoire
Tout ceux qui subissent ces paralysies vous décriront la même chose, avec différents degrés de sévérité : au moment de l’endormissement, vous rouvrez les yeux pour vous rendre compte que votre corps ne répond plus. Votre respiration est très difficile, il vous est impossible de parler, vous étouffez. C’est la première étape. Après s’être estompés, l’engourdissement et la terreur peuvent se répéter plusieurs fois et le cauchemar s’arrêter là. Mais, parfois, un autre phénomène accompagne la paralysie du sommeil.
Une présence se fait sentir au pied du lit. Le plus souvent, ceux qui la décrivent évoquent une forme noire, humanoïde, qui s’approche de votre corps pour l’immobiliser et vous empêchez de respirer en exerçant une pression sur votre torse. La forme paraît réelle et, pourtant, elle disparaît quand vous la regardez directement, comme un scintillement dans l’obscurité quand les yeux cherchent à s’y accoutumer. Lorsque vous vous dégagez de la paralysie et du monstre, tout disparaît, vous laissant terrorisé dans votre lit et, souvent, prêt à revivre la même expérience plusieurs fois.
La description du phénomène est étrangement semblable dans toute l’histoire de l’humanité. En témoigne le tableau Le Cauchemar de Füssli, ou la version de Nicolai Abraham Abilgaard qui décrit rigoureusement le même phénomène que nous vivons encore aujourd’hui avec ce monstre noir posé sur le torse de sa victime. Et les autres exemples sont légion : dans Roméo et Juliette, “Shakespeare attribue à la reine des fées Mab, non seulement toutes les illusions des songes, mais aussi les impressions d’étreinte et d’écrasement, les associant à la position de sommeil sur le dos” (source : wikipédia), ou encore dans le Horla de Maupassant.
Une constante à travers l’histoire, mais qu’en est-il du reste du monde ?
Des hallucinations différentes à travers le monde
Les hallucinations varient peu dans l’histoire, mais prennent différentes formes à travers le monde. Paralysie, présence hostile, hallucinations auditives et tactiles très réalistes, des mains qui vous attrapent, des bruits et même des voix qui vous parlent de façon très inamicale : voilà pour les facteurs communs que l’on retrouverait dans la majorité des cas. Plus rarement, ce genre d’experience peut être accompagnée de sensations de lévitation, ou d’une agression sexuelle. Un facteur commun : l’impression que l’entité veut vous faire du mal et vous enlever de votre lit.
Mais l’entité revêt différentes apparences selon votre pays d’origine, votre culture. L’excellent site Axolot en fait une première liste révélatrice :
On trouve trace de la paralysie du sommeil dans toutes les cultures, où elle a donné lieu à de nombreuses légendes et interprétations : en Chine, on parle du Gui ya chuang, ou « fantôme qui écrase le lit » ; au Japon, c’est le Kanashibari. Dans les cultures musulmanes, on parle souvent des Djinns qui essaient de posséder le corps du dormeur. Au Canada on évoque la « vieille sorcière ». Mara en Islande, Khyaak au Népal, Karabasan en Turquie ou encore Amuku Be au Sri Lanka ne sont que quelques uns des noms utilisés dans le monde pour désigner l’entité maléfique qui surgit durant la paralysie du sommeil. De nombreux chercheurs pensent également que certains mythes modernes tels que les enlèvements d’extraterrestres peuvent être expliqués par le phénomène, de même que les attaques d’incubes et de succubes au Moyen Âge (source)
Aux Etats-Unis, les témoignages d’enlèvement par des extraterrestres ressemblent à s’y méprendre à la description de la paralysie du sommeil : l’impossibilité de bouger, une forme humanoïde, une tendance tactile, un aspect ponctuellement sexuel et, surtout, le contexte de la chambre et de l’endormissement. Admettez que cela permettrait d’expliquer la ponctualité de l’enlèvement par extraterrestre qui, aux Etats-Unis, semble presque toujours avoir lieu pile après le dîner. A moins que les syndicats OVNIS soient extrêmement rigoureux sur leurs horaires de travail ? J’ajouterai que les américains semblent parfois plutôt persuadé que, en dépit des explications scientifiques de la paralysie du sommeil, ces hallucinations sont le fait d’attaques démoniaques et qu’il convient de s’en protéger en invoquant Jésus.
Une petite recherche suffit pour voir que le phénomène est, en Islam, souvent attribué aux Djinns (ici ou ici).
Ce phénomène psychologique hallucinatoire pourrait-il être la clef de nos mythes et de nos légendes ? Les victimes décrivent des attaques nocturnes si réelles que l’on peut imaginer qu’une personne plus superstitieuse les prenne au pied de la lettre, qui plus est dans des époques antérieures, au cours desquelles la psychologie ne permettait pas au rêveur de se croire victime de visions factices, liées au profondeur de son esprit. Combien de sorciers et de shamans n’étaient-ils, peut-être, que des rêveurs ?
Aujourd’hui, les recherches sur les troubles du sommeil (parasomnie) nous en disent plus sur ce phénomène – sans pour autant en effacer le caractère mystérieux…
L’explication scientifique : l’hallucination hypnagogique
Le sommeil se déroule en plusieurs moments : la phase paradoxale est le moment où se déroule la majorité des rêves. Pour éviter que votre corps n’exécute les gestes que vous faites en rêves, un mécanisme cérébral immobilise votre corps, l’atonie musculaire étant due à la forte inhibition des motoneurones spinaux par l’émission d’un neurotransmetteur, la glycine. La paralysie du sommeil relève de ce phénomène : alors même que vos muscles sont plongés dans la passivité, votre conscience revient à elle et vous voilà conscient dans un corps qui dort. Prisonnier de votre propre corps. Généralement, le phénomène se dissipe si vous gardez votre calme et respirez lentement. Si vous paniquez et tentez de hurler/courir/voler, votre corps vous prendra pour un mauvais rêve…
Durant la paralysie, le plus terrifiant, ce sont les hallucinations – à l’endormissement ou au réveil. En plus du sentiment de panique, de claustration, de gêne respiratoire et l’impossibilité de parler, un visiteur entre dans la pièce. Cette rencontre de l’éveil et du rêve suscite un monstre, un gardien qui semble ne pas accepter de vous voir ainsi resté dans cette entre-deux, entre rêve et réalité. Une zone de non-droit pour les humains.
Pour l’éviter, à court terme, il est déconseillé de dormir sur le dos, la position la plus propice aux rêves et aux cauchemars. Manque de sommeil et irrégularités du rythme de vie, le dîner pris trop tard avant le coucher, le surmenage, tous ces facteurs sont susceptibles de favoriser ou d’exacerber l’apparition du trouble. Lorsqu’il se produit, il est fréquent que, trop épuisé, le dormeur reste allongé et voit la paralysie et l’hallucination se reproduire de nombreuses fois. Dans ce cas, asseyez-vous sur le rebord de votre lit et forcez-vous à rester au moins cinq minutes ainsi, le mieux étant de vous lever doucement et d’aller prendre un verre d’eau.
Sur le long terme, j’ai d’autres conseils qui m’ont permis – pour l’instant – de réduire les paralysies du sommeil à des occurrences très rares, et plutôt agréables pour un amateur de surnaturel. Comment ? Ce qui peut s’apparenter à une malédiction, et susciter beaucoup de douleur et de peur, est aussi un formidable don pour le rêve lucide. Les rêves lucides sont des rêves où le dormeur élève son degré de conscience au-delà de la normale, accentuant sa capacité à se remémorer un ou plusieurs rêves chaque nuit et – même – à expérimenter des rêves qu’il va pouvoir contrôler.
S’entraîner au rêve lucide et y parvenir est le meilleur moyen de vaincre les monstres qui se faufilent dans votre esprit. Je vous en parlera dans un prochain article.