En février 2011 se tenait le Salon Parapsy, le festival annuel de la voyance, l’occasion pour moi de faire mon premier reportage de terrain dans ce domaine. Révélations.
C’est le dernier jour du Salon Parapsy et j’ai décidé de tenter une expérience sans précédente dans l’histoire de l’humanité : poser la même question à trois voyants différents. L’heure est grave. Les résultats sans appels.
Dans le métro, je m’interroge sur mes motivations: qu’est-ce que j’essaie de prouver, au juste ? La réponse est simple, rien du tout. Je souhaite simplement observer, décrire, voir si ces gens me donnent l’impression de vouloir m’aider, quelles sont leurs techniques d’empathie, suis-je séduit par leur visions ? Bref, quel effet cela fait-il d’avoir quelqu’un qui vous dévoile votre futur en face à face ?
Ma question ? Celle de mon avenir professionnelle.
Allons-y.
Aller voir une voyante, aller aux putes ?
Dans l’espace Champerret, des zones sont aménagées pour accueillir des échoppes, marchands de quartz magiques, masseurs spiritiques et même une cabine spéciale pour prendre en photo la couleur de votre aura. A l’entrée du salon, un stand particulièrement soigné (décor à paillette, boules de cristal…) sert à des séances de voyance publique et gratuite.
Mais que dois-je faire pour avoir ma propre séance perso ? Je tourne en rond dans le salon, me faisant l’impression d’une voiture qui fait des va-et-vient au bois de Boulogne et j’avise enfin les guérites prévues à cet effet. Ici, les organisateurs ont fait monter de nombreuses cloisons, aménageant ainsi des boxes derrière lesquels officient tarologues, numérologues, voyants, mediums ou encore astrologues.
Les zones prévues pour aller « voir une voyante » ont des airs de bordels du 19eme siècle : des couloirs entiers avec des boxes équipés de rideaux blancs ou rouges. Ainsi, lorsqu’ils ou elles ne travaillent pas, elles se tiennent dans l’entrebâillement, écartant délicatement le rideau rouge dans lequel vous êtes suavement invité à péné… rentrer. Comment vais-je oser m’aventurer derrière ces rideaux, moi qui ne suis jamais JAMAIS aller aux putes (Najat, si tu nous regardes) ?
Tiens, les prix sont affichés.
On distingue la séance de prédiction complète, dont le coût peut aller jusqu’à 150 euros et les questions à l’unité, proposées de 10 à 40 euros. Econome, je décide de poser la question de mon avenir professionnel à 10, puis à 15 puis à 20. J’essaierais d’abord une voyante, puis un medium et, enfin, une tarologue-medium par flash. (de nombreuses combinaisons sont apparemment possibles).
Miriam, 60 ans, voyante
Photo Credit: Dex1138 via Compfight cc
Quand j’arrive dans le premier couloir, les voyantes discutent toutes, hors de leurs boxes, et me hèlent quand je passe, vantant leur talent et leur prix.
Pour commencer, j’avise la guérite la plus moisie et m’en approche, elle est occupée par un jeune homme et une vieille femme, qui se révélera être la mère du premier. La voyante porte un T-shirt bleu très sale, et un pantalon beige, elle me demande d’abord mon nom et ma date de naissance qu’elle note soigneusement. Elle sent le patchouli et l’encens.
Après que je lui ai péniblement posé ma question, celle que je poserai aussi aux autres, elle extirpe un quartz rose pendu au bout d’une chaine en plastique de sa banane rouge M&Ms. Elle écrit aussi la question. Elle a une écriture de grand-mère, très appliquée.
– C’est beaucoup trop large, vous n’avez pas de questions plus précise ?
– C’est-à-dire ?
– Une réponse à laquelle je pourrais répondre par oui, ou par non.
Elle a un fort accent provençal. Je précise ma question : «Dois-je persister dans la même voie professionnelle ?».
Après avoir ajouté l’addendum sur le papier, la voyante se met alors à faire tourner son quartz lentement en la lisant continuellement. J’évalue le temps passé à plus d’une minute qui me parût plus longue. A l’extérieure du boxe, j’entends le brouhaha du Salon et les chuchotements des clients des boxes voisins. L’intérieur du boxe n’est absolument pas aménagé et la carte de visite de la voyante est une simple photocopie étrangement floue, visiblement découpée à la main.
– Oui.
– Oui ?
– Oui, ça va aller ! me dit-elle avec un sourire de soulagement. Après un silence, elle dit avec une certaine sincérité : « Ca c’est une bonne nouvelle, non ? »
Ne sachant pas trop quoi ajouter, je bégaye et lui demande si elle a la monnaie sur vingt euros. Heureusement, elle a du liquide dans sa banane.
Georges, 45 ans, medium
Le deuxième m’inspire davantage confiance. Il a une secrétaire qui me parle de lui tandis que j’attends que son boxe se libère. Il a une jolie carte de visite et son boxe est aménagé : des draps bleus nuits tombent sur les côtés, la table est drapé de violet et l’homme porte un costume. Affable, il me fait entrer et m’installe devant la table, lui s’asseyant de l’autre côté. En fait, j’ai la nette impression d’être chez le psy.
Lorsque je lui pose ma question, je suis d’abord étonné : il ne tente pas d’y répondre. Il creuse, m’interroge:
– Que font vos parents dans la vie ? Pourquoi avez-vous choisi cette voie professionnelle ?
Il en ressort que j’hésite entre deux voies qui ne sont pas incompatibles et que l’une est une plus réaliste pour gagner un peu d’argent avant de faire des choses plus créatives. Je lui parle de mon désir de vivre de ma créativité, notamment dans l’écriture, et il me répond:
– Oui, peut-être, mais vous êtes beaucoup trop jeune. Ecrire, c’est parler d’une expérience. Soyez patient.
Le silence se fait. L’homme attend et se dandine, il semble soudain gêné. En effet, nous avons eu une conversation où d’autorité, il m’a expliqué quoi faire dans ma vie et je sens poindre le moment où nous allons nous interroger sur le fait que ce mois de février est finalement très agréable alors que l’année dernière, à la même saison, il faisait vraiment froid. Il en prend conscience et fait quelques gestes appelant la prédiction. Je retiens mon souffle :
– Je pense que vous avez un avenir dans… le spectacle vivant.
– Ah ?
– Oui, je sens ça. Mais pas tout de suite, plus tard.
– Quand ?
– Vous allez rencontrez un… Philippe…Je vois qu’il travaille… à la Diplomatie sans doute… et il vous aidera beaucoup pour accomplir votre reconversion.
Il semble se détendre et me sourit, me serre la main. La secrétaire met un peu de temps à me faire la monnaie.
Ca fait bientôt trois ans que j’attends ce Philippe qui n’est jamais venu.
Sylvie, 40 ans, tarologue
Photo Credit: Dex1138 via Compfight cc
La dernière personne me donne une haute impression d’étrangeté.
Sylvie me fait entrer dans un boxe qui n’a, pour seule décoration, qu’un poster représentant, à mon avis, la côte bretonne. Elle s’enquiert de mon âge et de ma date de naissance puis me fait signe de battre les cartes et d’en extirper cinq ou six – je ne sais plus.
Mais avant tout, je dois poser ma question.
Ce n’est pas assez précis, je vous propose cette méthode : si vous hésitez sur la voie professionnelle à suivre, nous allons interroger les cartes sur les principales voix qui vous intéressent. Vous y pensez, sans me les dire, et nous interrogeons les cartes.
Commençons par la communication, me dis-je. Je tire la carte. La troisième, aux couleurs jaunes, me semble positive et je laisse échapper un soupir que la tarologue repère immédiatement. Elle enchaîne :
– Je pense que cette voix n’est pas faite pour vous, elle me regarde avec un demi-sourire, observant ostensiblement ma réaction.
– C’est la question que je me pose, dis-je pour la laisser se débrouiller.
Sa conclusion est la suivante : cette voie n’est pas assez rémunératrice pour moi, et ne me convient pas. Euh…
Je suis sceptique car ma deuxième envie, c’est la recherche en sociologie. Après avoir tiré les cartes, la tarologue est formelle, sans savoir de quelle voie il s’agit :
– Vous allez faire fortune dans cette voie. C’est formidable. C’est une voie difficile pour laquelle vous avez du talent. De quoi s’agit-il ?
– La recherche en sociologie.
– Ah… euh… Oups.
Elle semble défaite, et je la comprends. Je retiens mon envie d’éclater de rire car nul besoin d’être medium pour savoir quand ne fait pas fortune à l’EHESS. Sylvie se reprend avec un sourire :
– Je commence à voir vos vies antérieures, c’est très mignon.
– Ah bon ?
– Vous avez été chercheur dans un pays froid. En Ecosse ou en Suède. Oui, je vous vois nettement. C’est en Ecosse.
Pour la troisième voie, celle de l’écriture que j’envisageais alors, elle reprit de plus belle sur mes vies antérieures :
– Oui, vous étiez aussi.. Oh… poète à Saint-Germain, un ami de Baudelaire, ou peut-être un peintre. Un être très romantique…
Dans ses yeux, je surprends soudain un sentiment fort peu professionnel. Je profite tout de même de cet ascendant momentanément acquis sur la voyante/cougar pour obtenir une ristourne. Mais comment ? A mon tour d’être voyant.
– Je vis pas loin de Saint-Germain car je suis de Montparnasse, originaire de Bretagne. Joyeuse, elle me dit que « elle aussi » et s’étonne de la « coincidence » avant de m’écouter lui expliquer que je suis né dans un bled appelé Moncontour, volant tous les détails à l’un de mes meilleurs amies, qui est vraiment breton, lui. Elle me dit ensuite qu’elle vit en Bretagne, pas trop loin de Moncontour.
– C’est très beau, oui, lui dis-je. Mais on se sent seul parfois, n’est-ce pas ?
– Oui, c’est vrai, me répond-elle. C’est vrai.
Bon. A partir de là, j’ai commencé à hésiter à ouvrir mon propre cabinet de voyance. Plutôt côté astrologie, qui a de loin ma préférence. Mon nom de scène, Quentin le Magicien, tout simplement.
N’hésitez pas à me contacter, j’ai un pendule et un quartz.
Photo de Une : Photo Credit: Kimberly Valencia via Compfight cc