Le Jediisme est une religion nouvelle non-déiste qui se fonde sur la philosophie Jedi. Religions de geeks ? Juste pour rire ? Pas du tout. Le Tryangle a rencontré son représentant français, et unique membre dans l’hexagone, Alexandre Orion.
C’est ce qu’on aurait pu penser suite à la vaste farce organisée en Angleterre en 2001. Des Jediïstes et des gens comme-vous-et-moi se sont mobilisés à l’occasion du grand recensement annuel, se passant le mot sur le web : à la question de la religion, répondez “Jedïisme“. Résultat ? La religion a fini quatrième dans le classement des cultes du Royaume-Uni (devant la Scientologie). Alors, canular ou communauté parodique ?
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre lorsque j’ai contacté différentes organisations Jedi en Angleterre et aux Etats-Unis… Heureuse surprise, non seulement j’ai été renvoyé vers Alexandre Orion, un Jedi français du Temple of the Jedi Order, mais ce qu’il m’a dit est tout à fait passionnant – et inattendu. Rencontre.
Tryangle. Qu’est-ce que le Temple de l’Ordre Jedi ?
Alexandre Orion. Le Temple de l’Ordre Jedi (soit le TotJO) est une église et une corporation au but non-lucratif matriculée dans l’État de Texas, aux États-Unis, depuis le 25 décembre 2005. Nous sommes habilité à ordonner notre clergé et à conférer des diplômes d’études en divinité. En somme, le TotJO est un ordre religieux. Cela dit, le Temple, ce sont les gens qui se réunissent par le biais de notre site web dans l’optique d’interagir aux niveaux intellectuel et spirituel sur une vaste gamme de sujets. Nous proposons un programme d’initiation à ceux qui le souhaitent, qui consiste en leçons sur le travail du mythologue Joseph Campbell, du philosophe Alan Watts. Nous les invitons à découvrir les idées de Fritjof Capra et de Krishnamurti. Ainsi, nous demandons aux initiés d’explorer ce qu’ils pensent et leurs sentiments sur la doctrine et sur une pléthore d’autres matières, comme la religion comparative entre autres. En effet, notre religion surgit d’un syncrétisme tout particulier.
Quel rapport le Temple entretient-il avec la série de films Star Wars ?
Nous ne sommes pas des ‘fans de Star Wars’ qui fantasment sur des vaisseaux spatiaux et des sabres-lasers. Nous n’entretenons pas de rapport avec la Guerre des Étoiles, ni avec Lucasfilm, ni avec d’autres organismes du secteur cinématographique. En somme, nous ne sommes pas trop inspirés par les films en eux-mêmes mais nous en partageons l’inspiration (Campbell, Watts, Jung et al.) qui a conduit Lucas à les faire. Par exemple, il n’y a aucune mention de Star Wars, de ses personnages ou des événements fictifs, ni dans notre doctrine, ni dans les études du programme d’initiation. Nous n’en parlons que très rarement, à vrai dire. Une exception en est le Code. Le Code vient d’un roman ou peut-être même d’un jeu Star Wars, mais il exprime tout de même bien le dualisme dans le psychisme humain. Enfin, nous ne sommes pas très focalisés sur les Jedi fictifs.
Pouvez-vous m’expliquez en quoi consiste ce Code, ainsi que les grands principes de la religion Jedi ?
Il y en a deux versions :
Émotion, mais Paix.
Ignorance, mais Connaissance.
Passion, mais Sérénité .
Chaos, mais Harmonie.
Mort, mais la Force.
ou bien :
Il n’y a pas d’Émotion; il y a la Paix.
Il n’y a pas d’Ignorance; il y a la Connaissance.
Il n’y a pas de Passion; il y a la Sérénité.
Il n’y a pas de Chaos: il y a l’Harmonie.
Il n’y a pas de Mort ; il y a la Force.
En effet, ces deux versions signifie la même chose à la base – la dualité qui gouverne et nous conduit dans chaque aspect de la Vie. La première version l’illustre un peu plus clairement – on éprouve l’un et l’autre. Dans la deuxième, on trouve la négation de ce qui nous met à travers pour mettre l’accent sur le côté libérateur. De toute façon, on ne nie pas l’émotion, l’ignorance, la passion etc. mais on admet qu’il y a un équilibre à trouver.
Akkarin, membre du Temple of the Jedi Order. Il explique le Code Jedi.
Quels sont les grands principes ?
Pour parler des “grands principes”, on ne peut reposer sur une doctrine quelconque. Le TotJO (on ne peut prétendre êtrereprésentants de tous les groupes se considérant ‘Jedi’) favorise plutôt l’orthopraxie (ndlr: employé ici au sens d’une diversité de pratique) au lieu d’une orthodoxie stricte. La doctrine, que nous révisons de temps en temps, n’est pas un canon à suivre à la lettre ; une telle pratique ferait de l’individu un assez mauvais Jedi. Quand on jette un œil critique sur la bonne plupart de religions traditionnelles, on découvre qu’une doctrine en béton n’engendre que de la hypocrisie et de la culpabilité de soi. On ne peut jamais être à la hauteur. Un Jedi est libre de déterminer ce qu’est droiture dans les circonstances dans lesquelles il se trouve.
Pourquoi retenir le concept de « Jedi », ainsi que certains costumes, si vous ne faites pas référence à la série de films ?
Bonne question …
Probablement parce que nous sommes, pour la plupart, d’une génération où les religions traditionnelles n’ont plus rien d’attirant. Qu’on appartenait à une famille croyante ou séculaire, on voit très souvent dans les présentations personnelles que, à un moment donné, il y a eu un rejet des valeurs religieuses, de croyances stériles et machinales. Or, un des objectifs de Lucas lorsqu’il a créé les films fut de réanimer la mythologie au noyau de toutes les religions. Dans un entretien avec Bill Moyers (journaliste américain), Georges Lucas a dit qu’il ne voulait pas “créer une nouvelle religion, mais expliquer d’une nouvelle manière les religions qu’ont toujours existé”.
Vous adoptez donc la démarche de Georges Lucas, sans vénérer Star Wars…
Effectivement, pour nous, Star Wars n’est jamais devenu canon. On ne croit pas en “La Guerre des étoiles” comme certains disent qu’ils croient en la Sainte Bible. En même temps, ce fut à partir de cela – la représentation des Jedi dans les films, inspirée de la mythologie de tout temps (cf. Joseph Campbell, Carl Jung) – que quelque chose nous a touché, a réveillé en nous le ‘héros’, guidé par un mystère, connecté à un fond puissant et indescriptible, voire indicible.
Entretien du Huffington Post avec John Henry Phelan, fondateur du Temple of the Jedi Order
Vous reprenez la structure pédagogique des Jedi : maitre/apprenti ?
Ce n’est pas parce qu’ils le font ainsi dans les films qu’on a adopté une structure apprenti/maître, mais plutôt parce que c’est tout simplement la pédagogie. C’est d’une part la relation classique ‘pupille/mentor’, mais aussi, si on le considère bien, n’importe quel étudiant sous la direction d’un directeur de mémoire, de thèse ou de stage bénéficie plus ou moins de cette relation. Chez nous, il y a seulement, dans les meilleurs de cas, un peu plus d’investissement personnel, et c’est aussi plus nettement un échange plutôt qu’un jeu de pouvoir autoritaire et sens unique. On n’insiste point sur l’obéissance, tant s’en faut …
Je vous conseille fortement une bonne lecture de “Le Héros aux mille et un visages” de Joseph Campbell, ou bien celle de “La Puissance du mythe” (la transcription des entretiens entre J. Campbell et Bill Moyers). On pourrait aussi trouver un bel indice sur les fondements du Jediïsme dans une lecture de Jung et la psychologie archétypale. Aussi y a-t-il dans notre répertoire de ressources “The Book” (je ne sais que ce livre fût traduit en français ou non) et d’autres ouvrages du philosophe Alan Watts. Du fait, on appuie bien plus sur ces œuvres que sur celles de Lucas. On tire notre inspiration du même enseignement que l’avait inspiré, mais au-delà de ça, rien.
Quel est l’objectif de la religion Jedi ? S’agit-il de convertir ou de répandre des principes, d’influencer le monde ? D’agir ?
[pullquote]Nous n’avons point d’objectif, sauf de vivre selon le mouvement de la Force – c’est à dire, ce qui est[/pullquote]. Quel est l’objectif d’autres religions ?
Non, on ne convertit personne ; nous ne sommes pas une secte. On est libre de suivre la voie (dans la mesure du possible) ou bien non, selon sa propre perception de ce qu’elle est. Le clergé de l’Ordre évite même de ‘prêcher’ la voie de la Force. Selon nos croyances, la voie de la Force ne peut être ni dite ni suivie. Elle n’est pas prescriptive et donc ne peut être inscrite dans une quelconque idéologie dogmatique.
En appuyant encore sur l’orthopraxie, bien évidemment c’est une façon d’agir. En même temps, ce n’est pas « agir pour agir ». Un/e Jedi se met au service de sa communauté, mais pas en criant de tous le toits que c’est « au nom de la Force ». Cela me paraît même ridicule. On ne dirait peut-être pas qu’on est Jedi. On ferait tout simplement ce que exige le service à accomplir sans trop de bruit.
Pensez-vous qu’une forme plus unifiée d’organisation peut apparaître ?
Cela a été tenté à maintes reprises parmi des communautés Jedi, sans que ça n’aboutisse. Tout comme je vous ai dit auparavant, je ne peux répondre pour tous les groupes divers qui se déclarent ‘Jedi’, et même au sein du Temple de l’Ordre Jedi, il y a tout un éventail d’idées, de pensées et de convictions par rapport à l’organisation. Il est possible qu’un jour tout soit unifié sous un seul chapiteau mais je ne suis pas convaincu que ça soit une bonne chose.
Un conseil Jedi global aura quoi pour but ? De déterminer ce qu’est la voie de la Force ? De définir la Force ? De rendre une orthodoxie à la religion ? Tout ça ne pourra servir qu’à établir une autorité spirituelle et définir ce qu’est « Jedi » et ce que n’est pas « Jedi », et donc diviser encore entre « nous » et « eux ». Et c’est cela qui empêche, voire rendre impossible, une vraie expérience religieuse. Tout comme dans d’autres religions, c’est la théologie même qui bloque une expérience authentique du transcendant.
A défaut de « convention », existent-t-ils des rituels ?
Nous – le TotJO – faisons des cérémonies lors des adoubements au grade de ‘Chevalier’ et lors des ordinations au clergé. Pour raison de la légalité, cela reste uniforme au niveau textuel. Nous faisons des offices (en-ligne) où on livre un sermon, mais ce n’est que très peu ritualisé ; un ministre l’exécute d’une manière différente d’un autre. Certains commencent par une prière, d’autres par un bref temps de contemplation. Des sermons varient énormément aussi. Comme j’ai dit au-dessus, on ne peut ‘prêcher’ la Force.
Que pensez-vous des membres de la religion Jedi qui prétendent véritablement pratiquer la Force comme une force de télékinésie ? Cela peut-il constituer une dérive (vente d’objet, promesse de pouvoir magique…) ?
Je pense d’eux comme je penserais de qui que ce soit qui cherche à connaitre ça. Ils cherchent un pouvoir, une ‘preuve’ pourrait-on dire, que nous sommes plus que ce qu’on apparait. C’est normal d’une part, selon la psychologie humaine, mais d’autre part, je crois qu’ils font fausse route. La foi Jedi ne porte nullement une promesse de pouvoir surnaturel. La question que je leur poserais, c’est : « Et qu’est-ce que ça changera ? ». Si l’on pouvait faire léviter les objets alentours, n’aurait-on toujours pas des questions existentielles ? Que ce soit un véritable pouvoir/savoir ou bien un tour de passe-passe, si c’est pour extérioriser l’expérience vitale, ça reste très illusoire.
En somme, si l’on cherche à exhiber une maîtrise de la Force, on est toujours dans la recherche de quelque chose en quoi croire et pas dans la croyance.
Comment êtes-vous venu dans la religion Jedi et comment cela influe-t-il sur votre quotidien ?
Comme pour beaucoup d’autres, pour moi c’était une croyance en « quelque chose » qu’a survécu à la désillusion vis-à-vis du vide spirituel que j’éprouvais dans la religion de mes parents. Encore que je ne me sois jamais considéré athée, je ne croyais plus – me posant même la question si j’avais un jour vraiment cru en un Dieu comme Il est décrit dans le Christianisme. Toutefois, je ne cherchais pas quelque chose d’autre pour combler le vide.
Je lisais alors … comme beaucoup d’autres, dans le bouddhisme, l’occultisme etc etc… J’ai été attiré par le Taoïsme. Puis, j’ai découvert les œuvres d’Alan Watts, de Joseph Campbell, Carl Jung et de Krishnamurti entre autres. Cela a été à la fin des années 80, début des années 90. A partir de là, j’ai compris plus ou moins la source inconsciente de la mythologie, y compris la mythologie ‘moderne’ tel que ‘Star Wars’ et d’autres adaptations cinématographiques.
Bien sûr, la vie se déroulée avec tous ses aléas et j’ai perdu le fil plusieurs fois. J’ai connu des joies et des chagrins. Mais parmi tout ça,il y avait toujours ce « quelque chose » de fondamental qui subsistait.
Comment avez-vous fait connaissance de la religion Jedi ?
Par hasard. Quand j’ai trouvé le site du Temple of the Jedi Order (le Temple de l’Ordre Jedi), je ne cherchais pas à m’intégrer une religion. Voyant que les études proposer aux initiés consistaient en bonne partie Watts et Campbell, je m’y suis mis. Au fur et à mesure, je me trouvais de plus en plus attiré à participer dans cette communauté.
Au niveau de la vie quotidienne, les Enseignements, les Maximes et le Credo me servent comme un rappel seulement à ce que je crois ; ils ne me gouvernent pas. Comme le dit Krishnamurti :
« Il n’existe pas de guide, pas d’instructeur, pas d’autorité. Il n’y a que nous et nos rapports avec les autres et avec le monde. Il n’y a pas autre chose. Lorsque l’on s’en rend compte, on peut tomber dans un désespoir qui engendre du cynisme ou de l’amertume, ou, nous trouvant en présence du fait que nous et nul autre sommes responsables de nos pensées, de nos sentiments, et de nos actes, nous cessons de nous prendre en pitié. » (Se Libérer du connu, p. 5)
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