C’est en effet pour résoudre ce que l’on appelle le problème des quatres feuilles ou conjecture de Guthrie que l’ordinateur a été utilisé pour la première fois avec succès. Un problème posé pour la première fois en 1852 par Francis Guthrie, quand il écrivit à son frère, mathématicien à Cambridge, pou lui faire la remarque suivante: si vous voulez colorier une carte afin qu’aucun pays frontalier n’ait la même couleur, utiliser quatre couleurs semble toujours suffir mais est-il possible de le démontrer mathématiquement?
La conjecture de Guthrie ne capta pas tout de suite l’attention du monde mathématique qui était alors plutôt accaparée par les avancées sur la théorie des nombres premiers du côté de Göttingen, ni celle des géographes pour qui la question d’acheter ou non un cinquième stylo de couleur pouvait paraître triviale. Une poignée de mathématicien tenta pourtant de répondre à la question de Guthrie et plus ils se cassèrent les dents plus l’intérêt pour ce problème augmenta. Les meilleurs aussi pour finir, Hermann Minkowski déclara dans un de ses cours: « Ce théorème n’a pas encore été démontré seulement parce que des mathématiciens de troisième ordre s’y sont attelés », déclara-t-il, pour finalement avouer quelques jours plus tard: «mon arrogance a irrité les cieux, ma démonstration est incomplète ». Quelques générations s’y essayèrent et il faudra attendre 1976 pour que la démonstration arrive enfin, plus d’un siècle après la lettre de Guthie à son frère. Deux mathématiciens de l’Illinois, Kenneth Appel et Wolfgang Haken démontrèrent qu’on pouvait réduire le problème à analyser 1478 cartes différentes, mais les vérifier à la main représentait un travail titanesque. Ils firent alors appel à l’informatique pour cette dernière mais néanmoins essentielle marche de leur démonstration, qui demanda 1500 heures pour arriver à la conclusion que, oui, toutes les cartes peuvent être coloriées avec seulement quatre couleurs. Ce résultat a été donc pour la toute première fois permis par la combinaison de l’intuition et de la capacité d’abstraction du cerveau humain d’un côté et de la force de calcul de la machine de l’autre.
Une expérience qui n’est pas étrangère au courant de pensée post-humaniste qui part du constat que les technologies, par l’informatique où le génie biologique, nous ont amenés à un dépassement de l’homme traditionnel. Selon George Steiner : « Au sens biologique, nous contemplons déjà une culture diminuée, une après-culture ». Dans Particules élémentaires, de Michel Houellebecq, le narrateur et dernier homme, rédige son récit avant l’avènement des machines, résultat du choix conscient d’une humanité parvenue à son terme. Une thématique largement exploitée par les auteurs de science-fiction, d’Asimov à William Gibson. En avatar technologique des précurseurs du post-humanisme pourtant, c’est l’exemple de Deep Blue qui est plus souvent mis en avant: lorsque l’exploit a été réalisé en 1997 par l’ordinateur Deep Blue d’IBM de battre aux échecs le plus grand champion d’alors. 1976, année zéro du dépassement post-humain?