Tout le monde connaît le célèbre roman de Jules Vernes, Le voyage au centre de la terre, mais peu savent que son auteur doit son inspiration à un américain très farfelu, John Cleves Symmes. Persuadé que les pôles terrestres menaient dans les entrailles de notre planète, il a (presque) réussi à obtenir des fonds publics pour monter une expédition.
John Cleves Symmes Jr commence sa vie de la plus simple manière. Né dans le Sussex d’une famille puritaine le 5 novembre 1780, sa famille et lui peuvent se targuer d’être tout ce qu’il y a de plus banal. Pas d’oncles géniaux, pas de grand-mère cinglé, rien qu’une longue lignée de petits bourgeois qui vivent du négoce.
Mais le petit John, lui, est un peu différent.
Il adore lire, surtout des livres de science, des récits d’explorations et d’astronomie. A 22 ans, il s’illustre dans la guerre d’indépendance contre la Grande Bretagne et devient capitaine. John est courageux., et quand il revient dans le New Jersey, il revient en héros. Devenu marchand, il épouse une veuve de guerre et, content de prendre ses 6 enfants à sa charge, il lui en fait 4 autres. John est désormais un homme fait.
Mais il n’a pas oublié ses rêves d’aventures : son aîné, il le baptise, Americus Vespucius, comme Amerigo Vespucci, l’explorateur. Et quand il trouve le temps, le pater familias replonge alors dans ses lectures sur les découvertes scientifiques, s’achète un télescope et rêve de s’y envoler un jour.
Au fil de ses lectures, une théorie émerge.
L’idée de la terre creuse. Elle lui paraît de plus en plus logique. Après tout, la nature n’avait-elle pas fait les os, les épis de blés et les cheveux humains complètement creux ? Et puis, si vous prenez de la matière sans forme, et que vous la faites tourner très vite, elle prend la forme d’une sphère creuses, pas pleine !
Il se plonge dans ses livres pour trouver confirmation de sa théorie. Bien sûr… il trouve : les Babyloniens croyaient que leur monde était une montage creuse entourée par la mer. Il dégotte aussi plusieurs écrits scientifiques qui mentionnent cette théorie, jusqu’au célèbre Halley, oui, l’Astronome qui a donné son nom à la comète, qui croyait en l’existence de trois autres planètes tournant à l’intérieur même de la nôtre.
Mais John voit plus loin : pour lui, ce ne sont pas trois mais cinq planètes qui orbitent au centre de la terre. Chacune d’entre elles disposerait de deux trous, remplis d’une matière proche de l’hydrogène à l’état gazeux et qui avalerait ainsi l’océan et la glace. En réalité, lorsque vous vous approchez de l’un de ses trous, la gravité change et vous ne vous rendez même pas compte que vous y pénétrez.
Le concept des trous polaires de Symmes se heurte tout de suite à un problème : censés être gigantesques, ces trous devraient avoir attiré l’attention depuis fort longtemps ! Mais Symmes a réponse à tout : déjà, ils placent les “verges” de ces “trous”, pour reprendre son lexique géologique aux accents “freudiens”, plus loin que les zones explorées de l’époque, afin de justifier la nécessité d’une expédition. Nous nous situons ici bien avant la célèbre mission de Robert Peary au pôle nord. De plus, ils expliquent qu’un explorateur pourrait ne pas se rendre compte qu’il rentre dans l’un de ces trous vers le centre de la terre, si ce n’est la température, froide lorsqu’on traverse, chaude à l’intérieur.
En 1818, John ne tient plus, le monde doit savoir et il doit absolument rassembler des fonds pour monter une expédition vers l’un des pôles. Depuis sa boutique dans le Missouri, il prend la plume et rédige un texte sensationnel qu’il envoie à 500 personnes dont il croit qu’elles peuvent l’aide à réaliser son rêve. Conscient du caractère incroyable de ses déclarations, il prend soin d’inclure un bulletin de santé qui spécifie qu’il est sain de corps… et d’esprit.
Cette année-là, il se lance dans une grande série de conférence pour adresser son message au grand public : « Dans le centre de la terre, nous trouverons une nature luxuriante, et nouvelle race d’humain, dont j’ignore, je l’avoue, absolument tout ! ». Les réactions sont mitigées et John ne supporte pas bien la contradiction, encore moins les moqueries. Il a du mal à répondre à certaines questions auxquelles il semble ne pas avoir pensé :
– Comment pourrez-vous y voir sans la lumière du soleil ?
– Le centre de la terre n’est pas dépourvu de lumière grâce à la largeur des deux trous polaires, bien entendu !
Heureusement, certains sont impressionnés, y compris sur un député américain, Richard Johnson, qui sera plus tard Vice-Président des Etats-Unis. Il est si impressionné qu’il demande au Congrès Américain de financer une mission vers la Terre Creuse, avec deux bateaux et tout le nécessaire pour y parvenir.
Hélas ! Le Congrès juge le projet « insensé ».
Symmes ne se laisse pas décourager !
Il revient à la charge en 1823, après avoir obtenu 100 soutiens célèbres dans une retentissante pétition, notamment grâce à l’argument commercial : « Grâce à la terre creuse, nous allons pouvoir ouvrir de nouvelles routes commerciales ». La mission est à nouveau mise au vote au congrès qui est appelé à statuer sur le bienfondé d’une mission d’explorations dans les « Trous de Symmes », ce qui ne manque pas de piquant.
La proposition obtient 25 voix !
Ce n’est malheureusement pas assez et la motion tombe dans l’oubli. L’expression “C’est un trou de Symmes” devient synonyme de projet farfelu dans lequel on va engouffrer de l’énergie… en vain. Et c’est ce qui va arriver à John Jr : à la suite de cette défaite, il décide d’intensifier ses cycles de conférences, aux Etats-Unis et au Canada. En 1829, il tombe malade et meurt à seulement 49 ans.
Mais ce n’est pas fini.
Vous vous souvenez d’Americus Vespucius Symmes, l’ainé de ses enfants?
Invaincu, il décide de rassembler toutes les œuvres de son père pour un baroud d’honneur. Mais les chats ne font pas des chiens, et le jeune homme dispose d’une imagination fertile : il explique que lui sait très bien sur quels humains on va tomber dans la terre creuse… ce sont les dix tribus d’Israel, qui y vivent depuis les temps bibliques.
De l’autre côté de la terre, les Symmes attire l’attention d’un écrivain français… un certain Jules Vernes.
Cover credit : Ferdinand Ladera.