« Jésus leur répondit : « ne murmurez pas entre vous. Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Et ils seront tous enseignés de Dieu. Quiconque a appris du Père et a reçu son enseignement vient à moi. […] En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle. »
Evangile selon saint Jean 6 44-47
2045. L’Humanité a trouvé le moyen de télécharger son esprit dans un immense ordinateur. Les prophéties des transhumanistes, autrefois moquées, sont en passe de se réaliser. Les infomorphes connectés à l’UltraRéseau ont troqué leur peau contre des statues de pixels. Récit de science-fiction ? Peut-être, mais le mind updoaling a ses farouches partisans, y compris dans le milieu scientifique académique. Aujourd’hui. Pour ses opposants, une question se pose : le paradis est-il un ordinateur ?
Le concept de « Mind Uploading », ou « Mind Transfer », fait référence à une technologie hypothétique qui permettrait le transfert de l’ “esprit” humain sur un substrat n’étant pas un cerveau biologique. L’esprit étant ainsi dissocié du corps biologique soumis à la mort, le Mind Transfer garantirait une forme d’immortalité.
L’esprit comme logiciel
L’idée philosophique sous-jacente à ce projet est de concevoir l’esprit humain (ou la conscience) comme un logiciel. Nick Bostrom, l’un des leaders du mouvement transhumaniste, actuellement directeur du Future of Humanity Institute à l’Université d’Oxford explique ainsi le dessein global du «Mind Transfer » dans un document paru en 2008 (Whole Brain Emulation: A Roadmap) :
“The basic idea is to take a particular brain, scan its structure in detail, and construct a software model of it that is so faithful to the original that, when run on appropriate hardware, it will behave in essentially the same way as the original brain.”
En concevant l’esprit comme un software particulier, il devient possible d’envisager d’en lancer une copie exacte sur une machine adaptée, un superordinateur par exemple.
L’attitude épistémologique, qui n’est d’ailleurs pas propre aux promoteurs du Mind Transfer, mais qui est partagée par un grand nombre de chercheurs en neurosciences est donc un physicalisme dur. L’esprit est une conséquence du « traitement de l’information » qui se déroule au niveau cérébral. De nombreux neuroscientifiques s’accordent en effet aujourd’hui à penser que les fonctions principales de l’esprit, telles que l’apprentissage, la mémoire ou la conscience sont dues à des processus purement physiques et électrochimiques dans le cerveau, et que ces processus sont gouvernés par des lois. Par exemple, Christof Koch et Giulio Tononi, neuroscientifiques influents, écrivent:
“Consciousness is part of the natural world. It depends, we believe, only on mathematics and logic and on the imperfectly known laws of physics, chemistry, and biology; it does not arise from some magical or otherworldly quality.”
Le concept de Mind Uploading est donc basé sur cette vue mécaniste de l’esprit et ne peut s’accomoder évidemment d’une autre conception de l’esprit, telle qu’en proposent par exemple les théories vitalistes
Après cette très sommaire introduction philosophique, Le Tryangle passe au calcul.
La borne quantique de Bekenstein est une limite supérieure à l’entropie S, ou information I, qui peut être contenue dans une région définie de l’espace qui possède une énergie donnée finie ou, inversement, l’information maximale requise pour décrire parfaitement un système donné, jusqu’au niveau quantique. Un cerveau humain ayant environ un poids d’environ 1.5 kg et un volume de 1260 cm^3, l’énergie correspondante (E=m*c^2) est de E=1.35*10^17 Joules et si l’on approxime le cerveau par une sphère, on obtient un rayon de r=6.7 cm. La formule donnant la borne de Bekenstein est :
Où h est la constante de Planck et c la vitesse de la lumière. On obtient ainsi (vérifiez !) une borne supérieure à la quantité d’information nécessaire pour recréer un cerveau humain moyen jusqu’au niveau quantique : I=2.6*10^42 bits. Le nombre d’états différents (Ω=2^I) du cerveau humain (et de l’esprit si le physicalisme est vrai) est au plus de Ω=10^(7.8*10^41) soit évidemment un chiffre astronomique. Mais fini.
Cependant, la plupart des avocats du Mind Uploading pensent que des modèles au niveau quantique et des simulations au niveau moléculaire des neurones ne seront pas nécessaires et qu’on pourra se contenter de descriptions plus grossières. Ainsi cette borne ne représente-t-elle qu’une limite supérieure à la quantité d’information nécessaire pour recréer une conscience.
Les différentes méthodes envisagées
La technologie du Mind Uploading étant bien sûr très hypothétique, personne ne sait exactement quelle technique employer.
Il y a aussi la question de l’ « incarnation »: si la conscience est transférée dans un superordinateur on a affaire à un type d’intelligence artificielle appellée infomorphe (le terme vient de la science-fiction cyberpunk), mais on peut aussi envisager d’implanter cette conscience dans un robot, un corps artificiel ou un corps biologique (un clone par exemple).
Parmi les méthodes théoriques, on distingue celles basées sur l’émulation de celles basées sur la simulation, une combinaison des deux pouvant être bien sûr utilisée.
Font partie des techniques d’émulation: le sectionnement en série, le sondage nanoscopique, l’imagerie cérébrale et la cartographie virale. Puisque la façon dont le réseau de neurones constituant le cerveau génère l’esprit est loin d’être comprise en neurosciences, on se contente de copier la structure du réseau de neurones. L’esprit humain est alors théoriquement généré par la simulation de ce réseau. Cela requiert de comprendre suffisamment le fonctionnement des neurones et de leurs connexions, de disposer d’une puissance de calcul suffisante et d’avoir saisi assez précisément l’état et la structure du réseau pour que la simulation soit fidèle.
Le sectionnement en série consiste à scanner couche par couche le tissu cérébral. Les techniques de microscopie actuelles ne sont pas forcément encore assez précises. Cette technique entraîne inévitablement la destruction du cerveau original…
Le sondage nanoscopique est une technique hypothétique plus avancée qui fait appel aux nanotechnologies : un réseau de machines nanoscopiques (c’est-à-dire de la taille d’une molécule, un millionième de millimètre) serait capable d’infiltrer un cerveau intact et de lire in situ et en temps réel son état et sa structure. L’imagerie cérébrale avancée permettrait aussi d’obtenir une représentation 3D du cerveau. Cette technique est non-invasive et non-destructive. Mais l’imagerie médicale actuelle est loin d’offrir une résolution suffisante. La cartographie virale consiste à utiliser des virus génétiquement modifiés qui s’attacheraient aux synapses et relâcheraient des molécules susceptibles d’être détectées depuis l’extérieur du cerveau, afin d’obtenir un modèle fonctionnel des synapses en question.
L’idée de la simulation est qu’il faut d’abord comprendre suffisamment les fonctions cérébrales de l’esprit humain afin de créer des modèles abstraits de ces fonctions. Ces modèles reproduiraient les processus mentaux humains. Cela requiert que l’hypothèse dite de l’IA forte est vraie. L’approche de la simulation aurait un avantage sur les techniques d’émulation si la puissance de calcul nécessaire requise par ces modèles abstraits est inférieure à celle requise par la simulation du réseau de neurones émulé. La technique dite « cyborging » consiste ainsi à remplacer pièce à pièce les constituants du cerveau par des composants électroniques qui sont censés se comporter exactement de la même manière que le constituant. Rassurez-vous : l’intérêt de cette approche progressive est qu’elle permet, entre les substitutions successives, d’interroger le sujet pour savoir si son expérience subjective n’a pas trop changé…
Enfin pour l’approche behavioriste, le cerveau n’est qu’une « boîte noire » : un examen ultra-détaillé du cerveau n’est pas nécessaire, ce qui compte c’est de reproduire les réponses possibles aux stimuli extérieurs.
Parmi les projets scientifiques actuels, le Blue Brain Project, lancé en 2005 et dirigé par le scientifique Henry Markram à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne utilise le supercalculateur BlueGene d’IBM : c’est la première tentative de rétro-ingénierie appliquée au cerveau des mammifères. Markram avait déclaré en 2004 que le but de son équipe n’était pas de construire un réseau de neurones intelligent, à cause des exigences computationnelles énormes :
“It will be very difficult because, in the brain, every molecule is a powerful computer and we would need to simulate the structure and function of trillions upon trillions of molecules as well as all the rules that govern how they interact. You would literally need computers that are trillions of times bigger and faster than anything existing today”.
Mais cinq plus tard, revirement étonnant : après avoir simulé une partie du cerveau d’un rat (une colonne corticale), Markram déclarait : « A detailed, functional artificial human brain can be built within the next 10 years » !
Des scénarios possibles vers le Mind Transfer sont étudiés sur le site carboncopies sous-titré :realistic routes to substrate independent minds.
Quelques questions éthiques et philosophiques
En plus de discuter activement des différentes techniques qui pourraient mener au Mind Transfer, ses partisans sont aussi très impliqués dans le débat concernant les questions éthiques qui accompagneraient nécessairement une technologie aussi radicale.
Nous listons ci-dessous quelques problèmes philosophiques et socio-politiques souvent mentionnés.
– Tout d’abord la question juridique. Quel statut accorder à la conscience transférée, surtout si elle l’a été dans différentes instances ? Comment éviter par exemple que des chercheurs en sciences sociales ne soumettent les esprits simulés à toute une batterie d’expériences contrôlées ? Il serait en effet idéal pour ces chercheurs peu scrupuleux de pouvoir soumettre l’esprit simulé à différentes conditions de test tout en relançant la simulation à chaque fois…
– Il y a aussi la question amusante de la vitesse de simulation. Eliezer Yudkowsky du Singularity Institute for Artificial Intelligence a ainsi calculé une limite théorique à la vitesse d’un réseau de neurones artificiel. Si l’esprit est transféré in silico, il faut en effet considérer la vitesse des électrons dans un circuit électronique qui est évidemment très supérieure à celle de la propagation des potentiels d’action dans un réseau biologique. Un réseau artificiel pourrait être en théorie un million de fois plus rapide qu’un cerveau réel et une année d’expérience subjective ne prendrait que 31 secondes de temps réel !
– Mais les apologistes du Mind Transfer s’inquiètent aussi de l’équité sociale…Seuls les plus riches auraient les moyens d’utiliser cette technologie qui promet l’immortalité. De plus même si tout le monde y avait accès, des différences subsiteraient dans la fiabilité ou la performance du supercalculateur siège de la simulation : les plus favorisés dotés de supercalculateurs plus rapides auraient ainsi un vécu subjectif beaucoup plus riche pendant le même temps réel.
– La question fondamentale est bien sûr celle de l’identité personnelle : la conscience transférée est-elle une prolongation de l’être original, une copie exacte ou un simple clone ? Un esprit uploadé, même doté exactement de la même mémoire et « personnalité » que l’esprit original, est-il exactement la même entité ? La différence pourrait être inobservable pour un observateur extérieur (et l’esprit uploadé serait lui-même incapable de répondre à cette question), mais une différence pourrait subsister. Ce qui semble acquis est le principe de divergence des identités : deux consciences exactement identiques à un instant initial divergeraient progressivement du fait des interactions différentes avec l’environnement. La solution serait-elle alors de tuer l’esprit original pour le remplacer par l’esprit uploadé qui aurait exactement les mêmes caractéristiques et la même expérience subjective que l’esprit original ? La mort serait donc condition de la vie éternelle.
Mais comme nous l’avons vu, d’autres méthodes, telle le cyborging, proposent une approche plus graduelle : le remplacement progressif de toutes les parties du cerveau afin de maintenir une expérience de conscience continue. On rejoint là le paradoxe du bateau de Thésée dont on remplace progressivement chaque pièce : s’agit-il, in fine, du même bateau ?
– Une conséquence annexe de la possibilité du Mind Transfer est pour le moins surprenante et a été développée par Nick Bostrom [6] : si l’esprit et l’environnement peuvent être simulés, il est très probable que nous vivions DEJA dans une simulation informatique. Plus précisément :
“This paper argues that at least one of the following propositions is true: (1) the human species is very likely to go extinct before reaching a “posthuman” stage; (2) any posthuman civilization is extremely unlikely to run a significant number of simulations of their evolutionary history (or variations thereof); (3) we are almost certainly living in a computer simulation. It follows that the belief that there is a significant chance that we will one day become posthumans who run ancestor-simulations is false, unless we are currently living in a simulation.”
Les principaux avocats
Il y a d’abord les Raëliens, qui imaginent de coupler cette technique au clonage. (cf La Possibilité d’une île de Michel Houellebcq)
Mais c’est en fait, d’une certaine manière, le Graal de tout le mouvement transhumaniste pour qui le développement accéléré des techniques et en particulier de la puissance de calcul (cf la Loi du Retour Accéléré de Ray Kurzweil ) soutiendra naturellement une progression menant des prothèses cérébrales (implants sensoriels, électrodes anti-épilepsie ou Parkinson), de l’amélioration cybernétique (enhancement) et de l’ingénierie génétique, à une émulation de plus en plus précise du cerveau et enfin au Mind Uploading. D’après les dernières estimations, Kurzweil prévoit l’immortalité pour l’An de Grâce 2045 : tâchez de ne pas mourir avant.
Les principaux avocats, leaders du mouvement transhumaniste, chercheurs en neurosciences ou en intelligence artificielle, sont donc Nick Bostrom et Ray Kurzweil, ainsi que Marvin Minsky (cofondateur du laboratoire d’Intelligence Artificielle au MIT), Randal A. Koene (du site Minduploading.org), et Hans Moravec (du Robotics Institute à la faculté de Carnegie Mellon).
Enfin, les références dans la science-fiction sont légions. Parmi les œuvres littéraires les plus abouties, citons La Cité des Permutants de Greg Egan ou Neuromancien de William Gibson.
Liens :
– Future of Humanity Institute
– Page personnelle de Christof Koch
– Borne quantique de Bekenstein sur Scolarpedia
– Blue Brain
– Carboncopies (realistic routes to substrate independent minds)
– Singularity Institute for Artificial Intelligence
– The Simulation Argument
– Law of Accelerating Return
– Marvin Minsky
– Minduploading.org
– Hans Moravec