Comme chacun sait, les progrès de la science permettront d’ici trois ou quatre ans l’immortalité de tous les citoyens. En attendant ce haut-fait de la recherche française, d’autres solutions existent pour affirmer votre foi en la science : la cryonie. En cette rentrée fraîche, le Tryangle vous propose un voyage dans ces glaciers de poche, remplis de transhumanistes, d’optimistes ou d’individus terrifié par la mort. La question : le purgatoire est-il un frigidaire ?
L’espoir fait vivre, dit-on. Il a fait vivre le Dr Martinot, un précurseur de la cryogénisation-maison dans les années 70 qui a tenté de conserver le corps de sa femme.
C’est à la suite de cette affaire que le Conseil d’Etat a contesté la validité juridique du procédé qui n’est actuellement pas un mode de procédure légale. En effet, avis aux amateurs : la cryogénisation est interdite en France. L’histoire du Dr Martinot est l’improbable rencontre de l’imaginaire des frigidaires et de la Belle au bois dormant. Malgré le caractère rustique de sa technologie, le Dr Martinot est un précurseur dont le combat juridique, ainsi que celui de ses fils, pourrait bien être cité en exemple si la technique venait à être perfectionnée.
Selon la légende – et les différents rapports de police – le Dr Martinot ressentait un tel amour pour sa femme qu’il avait fait construire un congélateur sur mesure pour accueillir son corps, puis le sien à sa mort. Le corps de Monique Leroy avait ainsi été placé dans un caisson réfrigéré à -80°C installé dans sa propriété. N’ayant pas développé ou utilisé les technologies à l’azote liquide et les dispositifs juridiques des sociétés de Cryonics américaine, le Dr Martinot consacra l’ensemble de ses économies à s’assurer du fonctionnement continu de son congélateur mortuaire.
Convaincu que sa machine pouvait fonctionner et que la cryogénisation était un modèle à suivre, il faisait parfois visiter la crypte de son château à Nueil-sur-Layon et affirmait sa foi en la médecine qui serait, selon lui, un jour capable de vaincre la mort ou, tout du moins, de les faire revenir à la vie. Son testament stipulait qu’il souhaitait voir le même procédé lui être appliqué.
A la mort du Dr Martinot, le 22 février 2002, une bataille juridique s’engagea sur le libre choix de son mode de sépulture. Son fils, Rémy Martinot fit tout ce qui était en son pouvoir pour respecter et faire respecter les dernières volontés de son père, et le fit congeler. S’ensuivit une demande du préfet d’inhumer «normalement» le corps de ses parents, le menaçant de recourir, le cas échéant, à la force. C’est le début d’une longue bataille juridique.
Pour citer l’article le plus précis trouvé sur les aspects juridiques de l’affaire Martinot :
« En application de la Convention européenne des Droits de l’homme et conformément à l’article 9 qui institue un droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, impliquant la liberté d’accomplissement de rites et à l’article 8 qui accorde à toute personne un droit au respect de sa vie privée et familiale, les requérants prétendent pouvoir choisir le mode de sépulture du Docteur Martinot. D’une part le choix du mode de sépulture est effectivement lié à la vie privée et intime des individus. D’autre part, la cryogénisation est une mode de conservation des corps en relation directe avec les convictions personnelles de l’intéressé».
Encore faut-il que ses choix soient licites. Or la conservation du corps d’une personne décédée par cryogénisation (aussi technique soit-elle) ne constitue pas un mode légal d’inhumation, seul l’inhumation et l’incinération sont des modes licites. La dernière étape de cet étrange drame survint après le dernier recours du courageux fils Martinot devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Malheureusement, suite à une panne électrique, les deux corps congelés ont dû être incinérés le 3 mars 2010. Entre temps, la technologie de la cryonie avait progressé outre-Atlantique..
Le rêve d’Alcor
Le caisson «Bigfoot Dewar» a été conçu pour accueillir quatre patients dans leur entier ou six neuropatients dans l’azote liquide à la température de -196 degrés Celsius. Le caisson est spécialement conçue pour ne pas consommer d’électricité, cependant il faut compenser la légère évaporation de l’azote liquide en en ajoutant de façon régulière.
Alcor
L’une des critiques les plus fréquentes à l’encontre des espoirs transhumanistes d’extension de la vie réside dans leur «infaisabilité immédiate». Dans son livre Futurehype : The Tyranny of Prophecy, Max Dublin énumère de nombreuses prédictions technologiques qui n’ont finalement pas vu le jour ( voir ici) et, selon lui, les prédictions optimistes que l’on peut entendre à l’heure actuelle, subiront le même sort… Oui, Ô lecteur, nous ne vivrons probablement pas suffisamment longtemps pour transcender notre condition d’être biologique.
La solution ? L’espoir d’une résurrection future. Un acte de foi en la science : la cryonie.
L’histoire du mouvement pour la cryogénisation remonte au livre de R.C.W Ettinger’s : The Prospect of immortality (lien vers Youniverse, gratuit sur Googlebooks), écrit en 1964, et futur fondateur du Cryonics Institute (Michigan). A partir de 1969, la création de l’American Cryonics Society pose la première pierre de l’entreprise de cryopreservation des corps humains dans l’espoir d’une réanimation future.
Car être cryogénisé, c’est espérer que la science sera un jour en mesure de vous ranimer – d’une manière ou d’une autre. En effet, fautes de moyens, certains membres de l’American Cryonics Society qui étaient conservés «dans leur entier» ont dû renoncer à leur corps et ne laisser que leur cerveau dans les cuves de l’ACS. Cette technique s’appelle la neuropreservation et pose un certain nombre de question : le corps n’est-il pas lui aussi le disque-dur des experiences d’un être humain ? Et comment régénérer le corps du neuropatient ? En effet, dans leurs cas, la réanimation ne suffira plus, l’espoir résidant dans des techniques relevant de la recréation de corps, du transfert de conscience, de l’implantation de cerveau dans un autre corps ou encore des interfaces neurologiques avec des corps robotiques ou dans des mondes virtuels. La neuropréservation est ainsi l’acte de foi suprême dans la science et dans la Singularité Technologique.
Selon les chiffres trouvés ici (Le Devoir), trois quarts des patients d’Alcor sont des “neuros”.
L’Alcor Life Extension Foundation existe depuis 1972. Plus importante en terme de membres que la American Cryonics Society, elle a été fondé par Fred et Linda Chamberlain en Californie et signifie : Alcor Society for Solid State Hypothermia. Alcor est le nom d’une étoile lointaine. Mailings et conférences furent organisés dès sa création, mais ce n’est qu’en 1976 qu’Alcor réalisa sa première cryogénisation sur… le père de Fred Chamberlain.
Un superbe reportage sur Alcor en quatre parties. A découvrir ici.
Acteur important de la recherche cryogénique, l’Alcor a aujourd’hui près de 1000 membres qui ont tous suivi les procédures administratives pour être mis «en suspension» après leur mort. Timothy Leary lui-même en avait fait la demande, participant à des conférences de l’Alcor avant de se tourner vers une autre société puis de changer d’avis (selon certaines sources). Actuellement, on peut citer le précurseur des nanotechnologies, Eric Drexler, l’inventeur Ray Kurzweil, le futuriste Max More sans oublier Natasha Vita-More, tous engagé à la vie éternelle… Actuellement en suspension, nous pouvons citer Ted Williams (une ancienne star du baseball), le futuriste FM-2030 et Dick Clair, célébrité à Hollywood, scénariste de sitcom et producteur qui a même remporté un Emmy Awards et dont les royalties permettent à Alcor de compter sur 50 000€ par an pour maintenir les caissons.
Jeremy Lemier, président de l’Alcor Life Extension Foundation à Scottsdale, Arizona.
La majorité des patients d’Alcor contracte une assurance vie en sa faveur. Il porte alors un bracelet d’alerte qui informe, en cas d’accident, qu’il faut contacter Alcor dans les plus brefs délais. L’idéal, dans le cas d’une mort non-accidentel, est de recourir aux équipes mobiles d’Alcor qui peuvent ainsi attendre. D’une importance capitale, les membres d’Alcor doivent décliner toute autopsie qui réduirait considérablement les chances de préservation. L’idéal est de débuter la procédure de cryogénisation une heure après la mort grâce aux réseaux para-médical et aux sept chirurgiens américains disponible 24h/24. Tout sera mis en oeuvre pour maintenir la circulation sanguine dans le cerveau et les organes entre le moment de la mort, et la cryogénisation.
La cryogénisation comme acte de foi en la science est de l’ordre du pari : le tout premier homme cryogénisé, le Dr. James Bedfort, l’a été il y 43 ans. De type pascalien, ce pari reproduit l’acte de foi présent dans les religions monothéistes, et s’il ne promet pas un autre monde, il promet un monde autre, où l’homme sera immortel sur la terre – ou dans lequel le cerveau pourra vivre virtuellement. Si elle prend la mort comme une étape, celle-ci n’est cependant pas nécessaire à la cryogénisation, bien au contraire comme l’affirme le site d’Alcor ici. Telle est la grande différence et, aussi, un interminable lieu de polémique philosophique et judiciaire. Lisez cette histoire trouvée sur le site du Devoir :
En 1988, Thomas Donaldson, un docteur en mathématiques californien atteint d’une tumeur au cerveau, a demandé à la cour la permission d’être anesthésié et congelé avant sa mort. Il réclamait un «droit constitutionnel à la congélation pré-mortem». À l’époque, les médecins donnaient à Donaldson cinq ans à vivre. Ce dernier estimait que, s’il attendait jusqu’à cette limite, la tumeur allait détruire ses neurones renfermant son identité et ses souvenirs. Bref, le congeler une fois mort deviendrait inutile… Mais la cour a refusé. Donaldson est allé en appel et a perdu, le tribunal indiquant que toute personne qui aiderait le mathématicien à se faire congeler serait accusée de meurtre.
Mais Donaldson a survécu! «Ma tumeur s’est en partie résorbée. Je suis en chimiothérapie depuis ce temps», dit ce personnage étrange joint en Australie où il vit maintenant. «Je veux toujours être suspendu pour éviter la mort. Tant que je demeure un humain pensant, je suis encore vivant, même si je suis en suspension cryogénique.»
Dans son enquête, le Tryangle a noté la récurrence, chez les différents acteurs des cryonics, d’accusation de suicides assistés. Selon les cryonistes, la mort n’est pas un évènement qui se produit soudainement à l’arrêt du coeur. La notion de « mort clinique » est refusée. Selon Thomas Donaldson, une mort déclaré sur la base de l’échec de la ressuscitation est une « construction purement sociale employée pour justifier la «mort clinique». Selon ce point de vue, la mort légale est une forme d’euthanasie.
Sur le rapport entre la cryogénisation et les religions, Alcor réagit sur cette même page, comprenant autant les réactions favorables de catholiques et de protestants.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, 150 personnes dans le monde ont été cryogénisé. La moitié se trouve à Scottdale Arizona, dans les locaux d’Alcor. Et les Transhumanistes, s’ils sont moins enthousiastes qu’il y a quelques années, continuent de penser à la cryonie. Citons Max More, fondateur du mouvement extropien :
« Je déteste absolument cette idée d’être congelé […] La cryogénie, c’est mon deuxième choix ! Mon premier, c’est de ne pas mourir »
Liens :
– Le site de Ben Best, président d’Alcor, une mine d’information.
– La plus importante base de donnée sur les cryonics
– Cryonics Society of Canada
– Christine Gaspar website
– Un article détaillé sur la vie de Christine Gaspar