Sébastien Tellier sort un nouvel album. Après l’ultra-érotisé Sexuality, l’intergalactique My God is blue, voici l’épicurien L’Aventura, qui sort le 26 mai.
Sa voix suave, son mélange de thématiques amoureuses et sexuelles, son air de messie poilu de l’espace…. Sébastien Tellier ne s’inspirerait-il pas de Raël, le fondateur du culte Ovni Raélien, lui aussi un chanteur accompli ? Le Tryangle s’est amusé à comparer les deux.
La carrière de Raël dans la chanson
Sébastien Tellier est un chanteur-compositeur connu et reconnu. Mais on oublie souvent que Raël, le gourou de la religion raélienne, a lui aussi tenté de percer dans la chanson sous le pseudonyme de Claude Celler.
Né en 1946 à Vichy, le jeune Claude Vorhillon – cette fois-ci, c’est son véritable nom – quitte le domicile familial à l’âge de 15 ans pour rejoindre Paris. Obsédé par Jacques Brel, il s’inspire de son héros et essaie de percer à Paris en suivant ses traces. Le site officiel Rael.org estime que Claude obtient un succès avec son tube « Le miel et la cannelle » et s’enorgueillit d’avoir sortit six disques entre 1965 et 1971 sur le label Disc AZ CEO de Lucien Morisse, « ex-mari de la star française Dalida ». Au suicide de ce dernier, le chanteur à la carrière fragile décide de se reconvertir dans la course automobile et le journalisme. Il laisse des tubes comme “Les Yeux en Amande” et le très Brelien, Madame Pipi en 1966.
Dans son premier disque, Sacrée sale gueule, en 1965, l’influence de Jacques Brel apparaît vraiment très forte :
Mais on se trompe en pensant qu’après être devenu Raël, gourou visité par les extraterrestres, Claude a cessé de pousser la chansonnette. Au contraire ! Selon le site officiel Rael.org, il aurait plus de 200 chansons à son actif dont la majeure partie en tant que Raël. Le style change un peu, l’influence de Brel disparaissant au profit d’une voix plus personnelle. Pour la découvrir, vous pouvez écouter “Elohim”, l’hymne de la religion raélienne. On y trouve tous les principes du mouvement, la chanson étant adressée aux divinités extraterrestres, les Elohims. Raël y réclame l’édification d’une ambassade pour les accueillir dans une ”nouvelle Jérusalem” ce qui est le projet central du culte.
Abordons maintenant la ressemblance avec Sébastien Tellier. Laissez-moi vous l’expliquer en suivant trois albums de Sébastien Tellier dans l’ordre chronologique.
Sexuality (2008) : une voix orgasmique
Amusez-vous à comparer la voix des deux chanteurs dans la vidéo ci-dessous que j’ai amoureusement réalisée. Vous pouvez y entendre les chansons suivantes : Je ferai le tour du monde (Raël), L’amour naissant (Tellier), Je n’ai pas besoin de toi (Raël), Pépito Bleu (Tellier), J’aime toutes les femmes (Raël).
Première constatation : si Raël et Tellier ont bien quelque chose en commun, c’est la place prépondérante des femmes et de la sexualité dans leurs chansons (et ailleurs, mais là n’est pas le propos). Dans son album Sexuality (2008), la ressemblance entre Sébastien Tellier et le gourou se fait troublante : il s’accompagne d’un mélange synthé et bruits d’orgasme féminin dans des chansons comme Roche, Finger of Steel et Une Heure. Chez Raël, une chanson comme “Je n’ai pas besoin de toi” apparaît comme une apologie de l’indépendance sexuelle qui n’est pas sans rappeler la pratique de la méditation sensuelle chez les Raéliens, qui a tant fait jaser puisqu’elle consiste – peu ou prou – à se toucher en public. Dans ce morceau, Raël tient ce discours à une femme :
J’aime ton corps contre moi, ta chaleur dans mes bras, mais j’aime aussi mon corps quand tu n’es pas là. / Et quand tu me dis, Je t’aime, c’est le plus beau des poèmes, mais si tu ne le dis pas, je m’aime autant que toi / J’aime être fou de plaisir, et faire monter ton désir, mais mon orgasme c’est moi seul qui le fait venir
Mais le principal point commun, c’est la voix ! Pas besoin d’être un expert des vocalises pour remarquer la forte dose de testostérone qui s’en dégage. Une spécialiste à laquelle j’ai montré plusieurs extraits a réagi de la façon suivante : “Il se fait un massage du larynx, de bas en haut, en respirant fort. C’est une forme de masturbation chantée !”. Proche des mantras de type “ohm naya shyva ya”, ce massage de larynx est suivi d’une respiration juste avant de repartir en voix de poitrine. Au final, Raël et Sébastien Tellier finissent souvent en voix de tête et expirent : « Sans donner la moindre impression de heurts ou de coupure. C’est vocalement agréable à faire ! Ces deux personnes doivent particulièrement aimer les préliminaires », ajoute-t-elle.
Pas convaincu ? L’album suivant de Tellier est un véritable aveu de son intérêt pour Raël puisqu’il s’y présente… en gourou obsédé sexuel vivant à Cochonville.
My God is Blue (2012) : le culte des OVNIS
Curieusement, si Raël a longtemps cherché à imiter Jacques Brel, c’est à se demander si Sébastien Tellier n’a pas, de son côté, cherché à imiter Raël. Le célèbre auteur chevelu de La Ritournelle et perdant de l’Eurovision 2008 a cultivé la ressemblance pour son album My God is Blue, dont le concept et la communication sont une sorte d’imitation esthétisante de certaines thématiques raéliennes. En effet, en 2012, Sébastien Tellier se présente en gourou d’une véritable organisation, L’Alliance Bleue, dont il se proclame le chef et ”maman”. Le site internet de l’Alliance Bleue est créé juste après la sortie de son album avec forum, préceptes et clips vidéos : “C’est un mouvement que je crée aujourd’hui. Ce n’est pas basé sur une religion ou une philosophie. Ce n’est pas une secte, c’est juste un mouvement qui a pour but de réunir autour de moi des fidèles”.
Et Tellier va s’intéresser ostensiblement à la question OVNI. La citation ci-dessus est extraite d’une étrange interview sur le site Klaatu Magazine, dans laquelle les ingénieux journalistes ont placé Sébastien Tellier face à un sociologue spécialisé dans l’ufologie, Pierre Lagrange. Le gourou qu’interprète Sébastien Tellier n’est pas sans rappeler l’histoire même de Claude Vorhillon, dit Raël, et sa rencontre avec les extra-terrestres : “Ce que j’explique dans l’album c’est que je suis né dans les étoiles. Qu’on m’a envoyé sur Terre suite à l’explosion de mon étoile et je me retrouve là et au lieu de tout faire foirer, j’essaye de faire en sorte que ça se passe bien”. Et d’ajouter que, pour lui, « croire aux extraterrestre, c’est une sorte de foi puisqu’on ne les voit pas », faisaint ainsi référence au principe même du mouvement de Raël, qui a repris une théorie très en vogue depuis les années 60 en ufologie, celle des anciens astronautes, aussi appelée néo-évhémérisme. Il s’agit d’une spéculation selon laquelle les dieux dont parlent les mythologies anciennes, de Gilgamesh à la Bible, sont en réalité des extraterrestres. A ce moment, la ressemblance avec Raël est explicite :
Son dernier album confirme-t-il cet amusant cousinage ?
L’Aventura (2014) : la nostalgie du paradis perdu
La réponse est oui. Bien sûr, sans son costume de gourou et son pépito bleu, Sébastien n’est plus aussi raélisant qu’avant. Mais, à la manière de la dernière partie de l’ouvrage que Michel Houellebecq a consacré à Raël, La Possibilité d’une île, on pourrait s’amuser à qualifier L’Aventura d’album post-raëlien habité par le rêve de la jeunesse éternelle. Les Raéliens rêvent de devenir immortels, et de rester jeune, tout en gardant – bien sûr – le goût du coït que perdent rapidement les personnages de Michel Houellebecq. Dans L’Aventura, Sébastien Tellier dit avoir cherché à représenter l’éternel infantile, et il met tant en scène la nostalgie de l’enfance qu’il consacre une chanson à son doudou perdu dans une chanson intitulé “Comment retrouver Oursinet ?”.
L’Aventura est un album empreint d’une légèreté mélancolique et solaire. On y voit un Tellier perdu qui marche, grande perche, au milieu d’utopies abandonnées. Celles-ci sont l’enfance, les femmes ou Brasilia, dont l’architecture brutaliste apparaît dans le clip Aller vers le soleil et font clairement écho à l’architecture de l’ambassade que cherche à construire les Raëliens. Les immense espaces désertiques du clip rappellent autant Arzach de Moebius que certains passages de l’adaptation filmique de La Possibilité d’une île, et l’on sent une question qui point au seuil de l’immortalité : à quoi bon vivre si longtemps si l’on ne peut rester enfant ?
”Is there life after youth” comme dirait Timothy Leary.