Les gens du Tryangle m’ayant dit de faire court, le 7e Antiquaire est un podcast (ou programme de baladodiffusion, histoire de rendre grâce à la francophonie) consacré au cinéma oublié et animé par deux érudits québécois aussi frappés qu’attachants. Pratiquant à merveille des rituels issus de la magie du chaos, ils vous retourneront le cerveau et vous ne regarderez plus vos films comme avant.
Continuant son exploration des médias internet, votre serviteur, dans un accès de folie qui lui est propre, a eu l’idée d’aller voir ce qui se passait du côté de la Belle Province. A l’heure où les barrières physiques s’envolent, pourquoi en effet limiter son chant d’action à notre sphère franco-française alors que la musicalité et la jovialité québécoises peuvent nous retourner le cerveau et les idées d’une si belle façon que Le 7e Antiquaire ? Ce papier aurait pourtant dû être écrit il y a bien des mois déjà. Quand j’étais encore plongé dans une transe extatique à l’écoute du Dynamic Duo composé de Francis Ouelette et Jean-Michel Berthiaume (rejoints il y a quelques mois par David Fortin), animateurs de l’émission. L’enthousiasme à son apothéose, j’aurais pu transmettre ce flux audio occulte sous une forme moins paresseuse.
Oui mais voila, attendant d’avoir l’avis des ces trois charmants animateurs hyperactifs, puis happé ma folie graphique, j’ai laissé traîner les choses. Heureusement je pouvais compter sur ma culpabilité judéo-chrétienne et mon âme de justicier pour arriver finalement à pondre un texte vantant les qualités indéniables de ce site.
Non content de nous faire découvrir des films peu ou pas connus, à l’image du travail des repackeurs de VHS sur le défunt site La Caverne des Introuvables, ce podcast est une expérience proprement magique. Un rituel où, après avoir ingéré un bol de céréales multicolore et saturé en sucre, les animateurs sniffent les émanations de pellicule brulée afin de sonder les mystères de l’Univers.
Au début, l’auditeur comprend difficilement leurs incantations (les esprits chagrins s’arrêteront au ridicule supposé de l’accent québécois, les autres y verront un amour de la langue française et une musique incomparable). Mais, avec un tant soit peu d’attention, il sera charmé, ou plutôt ensorcelé comme le hurle Screaming Jay Hawkins durant le générique, par la complicité de ces érudits de la culture populaire. Car la voix profonde et chaleureuse de Francis Ouelette, suivie par celle, mi-shaman mi Tom Waits, de Jean-Michel Berthiaume vous forceront à vous asseoir confortablement, une bière fraîche à la main et un sourire béat aux lèvres le temps d’une émission.
Au fil des échanges entre Franck et Jim, l’auditeur tombe parfois sur des sentences aussi étranges que définitives. En voici un petit florilège.
– “L’apocalypse, c’est un massage des pieds cosmique.”
– “Il y a un degré de séparation entre Heidegger et Ben Affleck.”
– “Les céréales le matin, c’est mon camp de concentration personnel.”
– “Ce vidéo-club il est au 36 Ontario Street. C’est juste en face de Sherley, celle qui ote ses dents pour sucer.”
– “Les enfants c’est comme Nyarlathotep : le chaos rampant.”
Après avoir dévoré leurs émissions aux titres aussi évocateurs que Face à Fassbinder-une introduction profonde pour des jeunes vierges, Les scènes d’entrainement dans les films de mâle: une appréciation (ou comment arrêter d’être un pédé grâce au cinéma), Ces grands films qui n’existent pas ou Les Enfants du paradis, film occulte ?. Puis ingurgité celles consacrés à des genres aussi incontournables pour le bisseux que la nazisploitation, les zombies ou les kaiju-eiga. Le désormais adepte pourra, face à cette masse incroyable d’émissions à disposition, s’amuser à piocher dedans au hasard, comme dans un jeu de tarot. Pour tomber sur un dîner radiophonique dont la discussion dévie vers le récit intime, fantasmer sur un film inventé de toutes pièces (je vous laisse trouver lequel) ou un hommage à la technique du cut-up chère à Burroughs. Et ouvrir finalement les portes de la perception, là où tout fait sens. Du Magicien d’Oz à Wilhem Reich. D’Aleister Crowley à Star Trek. De Zatoichi aux céréales Kellogs.
Définir ce qui fait l’alchimie si particulière du 7e Antiquaire n’est pas chose aisée. Il faut s’appeler Carlos Casteneda pour pouvoir retranscrire fidèlement une telle expérience psychédélique, qui pis est quand on est redescendu puis passé à d’autres trips depuis.
Bien entendu il y a un enthousiasme pour la cinéphilie des marges, le plaisir d’en apprendre toujours plus sur le 7e art et ses enfants cabossés. Mais ce n’est pas seulement cela qui vous fait vous enquiller toutes leurs émissions comme votre serviteur l’a fait.
L’élément déterminant est le privilège d’assister à une conversation entre deux amis. Observer comment leurs deux esprits, via la forme du dialogue antique, tissent une toile autour d’un thème particulier. La façon dont les motifs se répètent au fur et à mesure des émissions. Apprécier la musicalité syncopée, jazzy, de la langue québécoise, ponctuée d’onomatopées, de cris et de fous rires de Jim et Franck. Voir s’entrechoquer des mèmes a priori dissemblables puis ressentir l’illumination dans la voix des animateurs quand ils s’emboîtent parfaitement.
Le 7e Antiquaire c’est donc certainement plus qu’une émission sur le cinéma. C’est un point de convergence entre ce dernier et l’occultisme, l’érudition, la philosophie, l’humour et l’amitié. Un mot, elle est donc indispensable.
Ce goût pour la transversalité, qui m’est si cher, se retrouve d’ailleurs sur l’autre site où officient ces adeptes de la chaos magick : Pop-en-stock. Ouvrant son horizon à toutes les formes de culture populaire (cinéma bien sûr mais aussi séries télévisuelles, musique, littérature ou BD), le site réussit le pari de traiter ces sujets avec un respect universitaire, sous la forme d’articles ou de podcasts.
Je pars ici dans une partie éhontément subjective et basée sur des impressions personnelles mais la France reste encore grandement construite sur les normes, les cases. Scientifiques d’un côté, littéraires de l’autre. Basse culture d’un côté, haute culture de l’autre. Et j’en passe. Tout cela évolue heureusement, avec par exemple les très bonnes conférences du Stunfest, qui abordent le jeu vidéo sous un angle universitaire (et que vous pouvez revisionner sur le site Nesblog), ou le Centre de recherche sur l’imaginaire à la faculté de Grenoble, mais nous avons encore du boulot dans ce domaine.
Comme l’explique un peu plus bas dans son interview Francis Ouelette, la position intermédiaire du Québec, entre héritage français et attrait actuel de la culture américaine, me semble permettre une plus grande élasticité d’esprit. Poser un regard critique, distancé, universitaire, sur les objets et phénomènes culturels les plus récents ou frivoles (Mon Petit Poney, 50 nuances de Grey) ou aller fouiller dans la culture classique pour y trouver les origines d’une figure populaire (Frankenstein, Sherlock Holmes).
Dire que le Québec en entier est ouvert à cette gymnastique mentale me semble présomptueux mais il convient de souligner un élément important : à savoir que Pop-en-Stock est développée au sein de l’excellente radio Choq.ca, elle-même installée à l’Université du Québec à Montréal (Uqam). Faculté où existe, depuis 1999, Figura, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Il n’est donc pas improbable que cette approche respectueuse de la culture populaire ait influencé les créateurs de la radio ainsi que leurs animateurs.
Si des Québécois, des Français expatriés ou toute autre forme de vie intelligente se sent l’énergie de conforter ou démonter cette opinion, n’hésitez donc pas à intervenir dans les commentaires. Quant à moi je laisse la parole à Francis Ouelette qui, avec sa si belle prose, vous en dira plus sur son travail et son approche.
TRYANGLE. Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques lignes ?
FRANCIS : On me nomme Francis Ouellette…A part ceux et celles qui me haïssent, qui ne me nomment pas. Comme le diable. Ils me disent « HÉ TOI? Je ne t’aime pas. Je ne te nommerai pas ! ». Je n’en ai cure. Bien fait pour eux. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi certaines personnes ne m’aiment pas, cela dit. Après tout, malgré mes 38 ans, j’ai le cœur d’un enfant de 5 ans, la libido d’un vieux dégueulasse de 72 et j’ai le physique rassurant d’un Bisounours croisé avec un boxeur raté qui prend du bide. WHAT’S NOT TO LOVE???
J’ai fait quelques études… Assez piètrement d’ailleurs. Un Bac en littérature et un certificat en scénarisation. Pendant mon Bac, j’ai volé à la bibliothèque une copie de Onzes milles verges (NDR : de Guillaume Apollinaire). Je me suis touché dans les toilettes en le lisant. Je l’ai gardé en souvenir de ce moment déterminant. Je n’ai pour ainsi dire rien retenu d’autre de ces études. Jim est le scolarisé de notre duo dynamique. Ce qui explique sans doute pourquoi j’ai été tour à tour clown, agent de sécurité, commis de club vidéo, Père Noël de centre d’achat, intervenant et garde du corps. Je suis littéralement un personnage de roman de Chuck Palaniuk. En ce moment je suis le directeur général d’une solide maison de distribution de cinéma Funfilm Distribution. Sokourov, Jodorowsky, Tarr, Depardon, Pahn, Dumont et la crème de la crème 35% du cinéma de cheu nous. On gagne des prix. Ça va bien. Je me suis retrouvé là-bas avec de la chance, une grande gueule et des heures sup qui n’en finissaient plus. J’aime bien ce que je fais. C’est un boulot qui demande pas mal d’huile de bras de ma tête. Pour cette raison, mes activités sur le net se limitent à Pop-en-stock et le 7ème antiquaire. C’est assez. C’est même trop.
Pouvez-vous nous présenter les sites Pop-en-Stock et le 7e Antiquaire. Depuis quand sont-ils actifs et quels sont leur ligne éditoriale ? Avez-vous une idée du nombre de podcasts enregistrés tous les deux depuis la création de ces sites ?
Avec plaisir. Il faut répondre à ces trois questions en rafale. Il convient de commencer avec le 7e Antiquaire. Voilà le topo. Jean-Michel Berthiaume, alors étudiant à l’Université du Québec à Montréal (Uqam) – il l’est encore-, décide de lancer en 2006 le bal d’un podcast de 30 minutes où il déblatère sur un vieux film, un truc inconnu ou oublié ou un réalisateur passé de mode qui ne méritait pas ça. À cette époque, nous sommes des colocataires et un grande part de nos vies gravite autour du cinéma, de la littérature, de la bande-dessinée, du jazz, de l’occultisme et de la folie contrôlée et passagère. On boit beaucoup, dort peu et on travaille ensemble dans un club vidéo où nous terrorisons et fascinons la clientèle. Parfois, on baise avec des dames et l’autre voit tout parce que ce qui sépare nos deux chambres est une bibliothèque ouverte. Jeunes, insoumis et fougueux, nous étions. Et puis un jour sans crier gare, Jean-Michel me demande de faire une émission avec lui. J’en fais quelques unes et on passe rapidement à un format d’une heure. Neuf ans plus tard, ce podcast aura donné plus de 322 épisodes, un site web tombé en désuétude qui a eu quelques heures de gloire (mais qui retrouve un peu de son souffle depuis qu’un troisième membre s’est ajouté à l’équipe, le rigoureux David Fortin, croisement de fortune entre Jeff Goldblum et Douglas Fairbanks. Le gars était fan de l’émission, il est devenu un ami, un frère et finalement, un animateur de radio). Nous avons mené des entrevus avec des réalisateurs comme Philippe Grandrieux et Richard Stanley, torturé quelqu’un en onde, donné des cours à l’université, contribué à des revues et nous nous sommes fait des grands amis. On a même confectionné un jeu de Tarot qui utilise des archétypes du cinéma. Oui, ouiii.
Initialement, le 7ème était la continuation d’un projet d’amitié entre Jean-Michel « JIM » Berthiaume et moi. Il était question de poursuivre cet exercice intellectuel de découverte constante de l’objet-cinéma qui scandait nos journées, de s’écarteler la conscience à chaque semaine avec de l’ancien-nouveau, de l’archaïque et de l’archétype. Maintenir cette relation en quelque sorte. À chaque semaine, nous désignions un film, un réalisateur, une cinématographie et on plongeait dans l’œuvre de manière débridée. Ou alors, nous proposions une analyse aussi inédite que possible d’une œuvre archi consacrée, question d’en révéler certains mystères, d’extirper un tout autre champ de signifiant au film. Assez rapidement, c’est devenu autre chose et des tics se sont imposés : délires analytiques et interprétatifs, révérence quasi-religieuse de certaine œuvres et volonté constante de croire et de prouver que le cinéma peut changer une personne et en faire un dieu vivant (ou du moins, le révéler à lui-même). Certains films seront évoqués et analysés comme s’ils contenaient les plus grands mystères du monde. Des grands classiques seront analysés comme des « vulgaires » film de genre. Nous avons inventé et analysé des films qui n’existent pas, souffert physiquement et mentalement pendant certaine émissions, parlé de Raoul Ruiz comme de John Carpenter, de vieux films pornos comme de Méliès. Une chose demeure, c’est que le 7ème est un peu une émission de philosophie du cinéma. Je dirais aussi que cette émission est une des plus grandes aventures intellectuelles, émotives, mystiques et professionnelles que j’ai entreprises dans la vie. Et aujourd’hui, le duo est devenu un trio.
Pop-en-Stock est une toute autre bête, beaucoup plus grosse et vorace. Le projet initial est une initiative de deux professeurs d’université et auteurs, Antonio Dominguez Leiva et Samuel Archibald. Les accomplissements intellectuels et professionnels de ces deux pionniers en terre Québec sont trop nombreux pour que nous en parlions ici. Google sera votre ami. Ce sont des mentors malgré eux. Je vous mets le descriptif du projet ici-même parce que ça déchire et ça donne le ton : « Hybride, réflexive et changeante, la culture populaire contemporaine évolue à une vitesse qu’il est difficile d’appréhender avec les moyens de l’édition traditionnelle. Pop-en-Stock est une revue savante nouveau genre, conçue pour optimiser l’observation de la culture populaire en temps réel, en mettant à profit les avantages du numérique » ET TOC. Beaucoup d’analyses originales, érudites et pointues sur l’objet pop, parfois fort académiques, toujours fascinantes. Jean-Michel et moi avons tout simplement proposé au deux initiateurs du projet (il faut dire qu’ils étaient devenus des potes depuis) de nous laisser greffer une version podcast à leur site. Il était question pour nous de tergiverser de manière aussi rigoureuse que possible de cet objet élusif appelé « culture pop » : le comic-book, les jeux vidéo, le cyberpunk, Céline Dion (NDR : vous ne la regarderez plus de la même manière après cette émission), Lovecraft, My Little Ponies… You name it.
Il était aussi question de proposer des vulgarisations de certaines théories et analyses trouvées sur le site, de même que proposer les nôtres. En peu de temps, le podcast est devenu un collectif de collaborateurs qui se pointent quand le sujet proposé les intéressent et apportent leurs suggestions sur les thèmes à venir. Nous invitons souvent des étudiants et professeurs qui se spécialisent sur la question choisie. Nous avons depuis plus de 50 épisodes. Par ailleurs, Pop-en-Stock propose depuis peu une série de livres théoriques aux éditions De Ta Mère.
Avez-vous des collaborateurs réguliers dans vos émissions, et dans ce cas, pourriez-vous nous les présenter rapidement ?
David Fortin, érudit documentaliste à la Cinémathèque québécoise est un des angles du triangle scalène du 7ème antiquaire. À Pop-en-Stock, outre nos grands chantres de la théorie pop-trash-intello-punk de haut-vol, Antonio Dominguez Leiva, véritable Buckaroo Banzai de la pensée et Samuel Archibald, Midas qui transforme en intelligence brute tous les mots qui sortent de sa bouche ou de sa plume, nous avons quelques réguliers qui viennent à titre de spécialistes. Mathieu Li-Goyette, brillant critique de cinéma pour le site Panorama Cinéma (probablement le meilleur au Québec) est notre expert bédé en résidence avec l’érudit doctorant Gabriel Gaudette. Guillaume Couture vient souvent nous parler de jeux vidéo et vient nous titiller de sa grosse intelligence. Un autre gars brillant (allez voir ses capsules webs intitulées Je joue le jeu, vous ne serez pas décus !). Lea Osseyrane, touche-à-tout délicieuse à l’énorme culture. Mais ils sont trop nombreux pour tous les mentionner !
Comment avez-vous rencontré Jean-Michel Berthiaume et quel a été le déclic pour faire ces émissions ?
J’ai un jour entendu Jean-Michel, alors que j’étais moniteur de camp de jour et qu’il avait 14 ans (?), parler de John Woo dans les escaliers d’un gymnase à une bande de jeunes. Je l’ai tout de suite aimé. C’est devenu mon plus vieux pote à ce jour. Depuis, on a fait moult jobs ensemble (on travaille encore ensemble d’ailleurs) et on fait deux émissions par semaine en commun. Ca synchronise un tantinet ce que les rappers du Wisconsin appellent « that mental shit ». On a d’ailleurs parfois une forme de langage basé sur des cris, des agrégats et des citations comprises que de nous deux et un cercle d’initiés. On fait parfois des pans de notre émission au complet en utilisant ce langage. Le 7ème est demeuré cet espace où nous pratiquons ce méta-langage. Non pas que nous y manquions de rigueur.
Pour Pop-en-Stock, c’est une volonté de participer de manière sincère et appuyée à l’étude de la chose pop et de le faire entouré de gens que nous trouvons stimulants. Il est aussi question d’aborder des sujets qui sont peu traités dans les médias « consensuels » de manière académique. En tant que geek bédéphiles, c’est aussi une occasion d’avoir un volet d’analyse de comic-book. Nos émissions de comic-book sont vraiment délirantes.
Comment expliquez-vous l’alchimie qui se crée entre vous deux durant les émissions? J’ai le sentiment que vous êtes des accoucheurs d’idées pour l’un et l’autre, qu’il y a une synergie entre vous.
C’est un processus entre nous deux où on maintient une fine balance entre l’amour fraternel, l’excitation geek, la révérence du pénitent et la valeur du guerrier. En fait, nous sommes tellement un vieux couple que Jim termine mes phrases. Je dirais que Jim est l’individu le plus stimulant que je connaisse. Et ça, ça se paye en bloc. Je cherche toujours à le séduire intellectuellement. Jim a un processus de pensée divertissant à l’extrême qui me fait penser au jazz : syncopé, scandé, beat à fond. Aussi, nous sommes tous les deux portés sur la chose occulte : plusieurs de nos émissions du 7ème sont des conjurations, des rituels, des sorts de protection ou des incantations. En tant qu’adeptes de la magie du chaos, l’émission est souvent devenue pour nous un laboratoire d’expérimentations magickes, une méthode de déplacement de notre parallaxe.
Pop-en-Stock demande plus de rigueur au niveau de la structure et de l’animation et nous nous permettons moins de délirer, quoique nous y sommes autant stimulés d’une toute autre manière.
Pouvez-vous nous expliquez votre volonté d’aborder la pop culture sous un angle si pointu, ou académique (philosophie, sociologie, sémiotique, histoire, etc) ? Est-ce que cette approche est spécifiquement québécoise ?
Le Québec à une position singulière dans le monde, autant géographique que celui des idées. Nous sommes des Américains récalcitrants, dans un pays qui nous est souvent étranger, le Canada. La culture française est omniprésente chez nous également. Les codes de ce mish mash culturel sont parfois engoncés dans notre conscience, même chez les gens qui ne parlent pas un traître mot d’anglais. Nous sommes issus d’une culture jeune où les héros et les grandes œuvres le sont tout autant. Peut-être qu’il y a chez nous une soif de reconnaissance d’une culture considérée inférieure, de souveraineté culturelle? Sans doute que cette frontière tend chez nous à s’effriter à mesure que nous assistons au changement de génération. Je serais aussi tenté de dire que nous sommes paradoxalement issus d’une génération qui ne croit plus avoir besoin de défendre la culture populaire. Sa pérennité semble assurée et elle est enfin entrée dans les classes d’universités.
LA SELECTION DU 7E ANTIQUAIRE
L’occultisme et la magie
Deux films à conseiller : L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen. Un ouvroir de la conscience magique fait spécifiquement pour les enfants, une très puissante et parfois insidieuse introduction à une multitude de concept occultes : le tarot, les incantations, la fractalité, Aleister Crowley, le chaos. Je pense que c’est un film (et un livre) qui a le pouvoir d’ouvrir la conscience. Lien vers l’émission.
Et le deuxième est Performance de Donald Cammel et Nicolas Roeg. Une incantation qui se fraye un chemin dans la conscience. Un vrai sort. Il y a dans Performance une charge magique qui est palpable, perceptible, violente. Lien vers l’émission.
Les extra-terrestres
Concernant les vrais : 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubirck et Contact de Robert Zemeckis . J’aime que mon alien soit métaphysique et transcendant. Et je garderai toujours un souvenir émerveillé des extra-terrestres dans Abyss de James Cameron. Lien vers l’émission sur 2001.
Et pour les faux : L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel et The Thing de John Carpenter. L’angoisse de la dépossession de soi à son meilleur!
Et enfin, pour ceux qui aiment le mélange des deux : Le jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise.
Le complot
Network de Sidney Lumet, un de cinq films essentiels du 7e Antiquaire. S’il n’y a au final qu’un seul véritable complot qui les absorbe tous, c’est Network qui en parle le mieux. Network n’est pas un film, c’est une prophétie continuellement renouvelable. Lien vers la première émission (NDR : Ce film a eu en effet l’honneur d’avoir 4 ou 5 émissions lui étant consacrées, avec une analyse différente à chaque fois).
La sexualité queer/déviante
The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman, un véritable pamphlet sur l’exploration et la libération des mœurs déguisé en guignol pour mieux faire passer…l’idée. « Don’t dream it…be it ». Lien vers l’émission.
La spiritualité
La Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky, à mon sens le film le plus total sur TOUTES les formes de spiritualité. Tout y est. Au final, le film est un système syncrétique qui permet au spectateur de déambuler d’une foi à l’autre jusqu’à ce qu’elles se conjuguent toutes. Lien vers l’émission.
Les drogues
Altered States de Ken Russel (Le Tryangle en parle également ici) ou comment la drogue continue après la drogue une fois que la drogue à ouvert ce que la drogue pouvait ouvrir. Lien vers l’émission hommage à Ken Russel.
Et je terminerai cette entrevue par deux petites questions :
Pourriez-vous nous suggérer des oeuvres de pop-culture qui peuvent faire découvrir le Québec à un Francais ?
Pour saisir la Québécitude dans toutes ses contradictions et ses beautés, je vous conseille les films Un chat dans le sac de Gilles Groulx et Chasse au Godard d’Abbitibbi d’Eric Morin. Respectivement le passé qui parle d’un avenir à bâtir et le futur qui passe par le passé. J’ai également une affection indéfectible pour le film Mémoires affectives de Francis Leclerc. Nullement un des classiques de notre cinématographie mais je crois que quelque chose de la Québécitude y est mieux compris que dans bien d’autres films. (NDR : vous pouvez également écouter l’émission speciale Saint-Jean – la fête nationale québécoise – à ce sujet)
En littérature sinon, tournez vous vers Prochain épisode d’Hubert Aquin, un grand roman incontournable, une véritable bombe, ainsi que les poèmes-trash de Denis Vanier, parce que le Québec a eu avec lui son Bukowski.
Connaîtriez-vous une oeuvre de pop-culture française qui vous semble pas assez connue ou reconnue en France et/ou qui pourrait synthétiser l’esprit français à vos yeux ?
Le couple Jean-Marc et Randy Lofficier et la somme de leur œuvre. Je ne sais si leur travail est célébré chez vous mais je l’espère. L’architecture du monument qu’ils ont érigé est galvanisante.