Plusieurs décennies ont été nécessaires à la reconnaissance du potentiel artistique du jeu-vidéo. Heureusement, la question ne se pose pas pour Second Life : la création en constitue l’essence même. Mais en quoi Second Life est-il un art ? Est-ce l’utilisation de ses outils pour réaliser des oeuvres, ou l’art d’exister en tant qu’Avatar, de se créer une personnalité, d’investir ce nouveau monde sans sombrer dans l’obsession ?
Pour Tutsy Navarathna, les deux réponses sont également valables. Vainqueur de la Machinima Expo 2012, Tutsy réalise des films sur Second Life qui traitent de la virtualité, de la transformation de soi face à l’avatar mais aussi de ces nouveaux rapports humains qui ont cours dans les mondes virtuels. Le Tryangle a interviewé ce français vivant à Auroville, la ville indienne expérimentale, qui mélange image de son avatar au bord de la mer et indiens marchant dans le Gange.
Dans la vidéo ci-dessous, Tutsy répond au question de Machinima Expo par une Machinima :
Des pinceaux à Second Life
Aviez-vous déjà une pratique artistique avant de découvrir Second Life ?
Oui, après des études aux Beaux Arts de Paris, j’ai été peintre un certain nombre d’années jusqu’à l’achat de mon premier ordinateur “Apple 2C”. C’est à ce moment que j’ai découverte l’Art video avec les “Maitres du Monde” dans les années 80, collectif qui réunissait : Jerome Lefdup, Yann Minh, Larri Flash, Basile Vignes, Didier Jarrige, Dominique Barbier, Frederic Bombuis, Nene Bader, Vero Goya, Patricia Lepage et d’autres… On peut dire que, grâce à eux, je n’ai plus eu à retremper mon pinceau dans le pot ! Ensuite j’ai réalisé bon nombre d’art video, habillages de chaines et génériques TV dont le fameux “Cercle de Minuit” tourné en Hi8 au 6eme de seconde avec Yann Minh au steadicam junior (bientôt en interview sur le Tryangle).
Où et comment avez-vous découvert Second Life ?
Ici aussi, nous retrouvons, 20 ans après, l’influence des ” Maitres du Monde” et, à nouveau, de Yann Minh. Aujourd’hui, je vis en grande partie en Inde. Mais lors d’un passage à Paris en 2007, Yann tout excité me raconte qu’il vient de trouver la concrétisation noovirtuelle de ses rêves d’adolescent. Et il me fait immédiatement une démonstration sur mon portable de ce fameux “Second Life”. Je reste un peu perplexe car, c’est vrai que derrière un “opérateur” Second Life n’a rien avoir avec l’expérience d’une immersion seul à seul avec son avatar. Le lendemain, je me connecte, pour voir… Après avoir un peu pataugé dans l’interface de SL pas vraiment très ergonomique, Yann par l’intermédiaire de son avatar va m’aider a créer ma première personnalité cyber et me transformer en une petite “slut” gothique ! Ma découverte de second Life se fera donc à travers les yeux d’une fille salope et déjantée!
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée et l’envie d’utiliser SL pour réaliser des objets d’art ?
La force de SL, qui est aussi sans doute sa faiblesse, c’est de ne rien proposer de précis. Tout ce qui se passe dans SL est le fait des résidents. Donc il faut un peux d’imagination… Chaque avatar a sa propre personnalité : je n’ai encore jamais rencontré deux avatars semblables. Chaque lieu, chaque maison, terrain, boutique etc… Sont des créations originales d’utilisateurs. SL n’est pas un MMORPG classique comme le sont la plupart des jeux en ligne. Il n’y pas de but précis, ni de mission à accomplir. A cause de cela SL fourmille de créations de toutes sortes : Architecture, installations, interactivité, galeries d’art, sculptures 3D, modes, photos, films comme les machinimas, qui sont des animations réalisées avec des moteurs 3D. Ce qui est assez extraordinaire c’est de constater que bon nombre d’artistes ne s’expriment aujourd’hui qu’à travers la virtualité. Ces créations restent underground car il n’y a encore quasiment pas de ponts entre les mondes virtuels et la “réalité” comme si le cyber-monde était pour beaucoup… totalement diabolique ?
Des Machinimas pour raconter Second Life
Pourquoi des Machinimas et pas des installations ?
Interactivités, sculptures, installations dans SL demandent une connaissance des logiciels 3D et d’écriture de scripts. Ce n’est pas que ce soit extrêmement difficile mais comme toute technique cela prendra forcement du temps quand on est pas familiarisé avec ces outils, et ce n’est pas mon domaine.
Mais en fait ce qui me passionne le plus dans SL c’est ce qui est en train de se passer entre le virtuel et le réel. Comment cette frontière est elle en train d’exploser ? Comment arrivons nous à nous projeter dans un tas de pixels et à vivre des sentiments tout aussi intenses que dans la réalité ? J’ajouterai aussi l’aspect économique : comme dans un atelier de peinture où vous pouvez vous exprimer sans beaucoup d’argent, il en est de même pour les machinimas ! La réalisation d’un film de ce type ne demande pas de gros moyens financiers, une connexion internet, un bon ordinateur et quelques logiciels suffisent.
Comment le tournage d’un machinima se passe-t-il ?
Apres c’est quasiment le même process que pour un tournage classique: repérage de lieux, casting, tournage dans SL avec des avatars venus exprès pour ça et finalement post production. Avec sa richesse de lieux, de décors, d’animations, de textures, ses possibilités d’éclairage sur les environnements, Second Life est non seulement un fantastique outil, mais il représente pour moi, qui cherche a créer des “images qui bougent” plus que des vrais films, une synthèse entre cinema peinture graphisme et animation.
L’informatique à cela de génial c’est que pour bien des créations artistiques, musique, graphisme, photo, cinema les coups de production ont permis à de nombreux artistes de faire des essais avant de se lancer définitivement vers une discipline.
Pouvez-vous nous présenter une ou deux de ces oeuvres ?
A propos des rapports entre virtualité et réalité, j’ai fait un machinima qui aborde la sexualité sur SL. Ce film est une interrogation sur la transformation des rapports humains face a l’intrusion des nouvelles technologies.
Metasex :
Journey into the Metaverse :
Beaucoup de personnes utilisent un alt dans SL, une deuxième identité, un avatar qui permet de rester incognito. Ce machinima raconte la révolte d’un avatar “alt ” abandonné par son créateur. A ce sujet une petite histoire : un jour, je parlais avec l’avatar d’une fille que je connais depuis pas mal de temps sur SL et qui me confie ses histoires d’amour. Elle était alors très amoureuse d’un avatar et comme je lui demandais s’il lui arrivait de le tromper, pratique extrêmement facile et courante sur SL . Elle me répondit de façon tres ingénue “Jamais avec cet avatar” ! (rire)
Pour en savoir plus :